lundi 30 avril 2012

Conversations

Rue Abbé Boisard, Lyon 7°

Un matin ordinaire

Tu hais les pigeons. Non, pas de cette haine ordinaire des bien-pensants qui trouvent qu'ils sont sales, qu'ils polluent le bord des fenêtres et s'envolent au dernier moment devant les voitures. Qu'est-ce que tu en as à faire de ces raisons? Qu'ils aillent à pied et mettent des fleurs sur leurs balcons! Ta haine n'est pas de ce type. Plus profonde, plus viscérale, incompréhensible pour les autres. Tu ne leur as jamais dit pourquoi. Ils ne te croiraient pas, ils se moqueraient: un doux dingue, pas méchant mais déjanté. Et pourtant... Ils n'étaient pas là, eux, ce jour-là.

Un matin, comme les autres. Plutôt beau pour ce début de printemps. La nuit avait été lourde et tu n'en appréciais que davantage le rayon de soleil qui semblait vouloir s'installer. Une des premières fois que tu ouvrais la fenêtre pour déjeuner. Bientôt, il serait temps de ressortir les pots délicats. Il n'y aurait plus de gelée. Face à la cour, tu écoutais la radio sans vraiment l'entendre. Une guerre loin d'ici, quelques propos de politiques sûrs d'eux-mêmes, des résultats de foot et la météo, vite fait, parce que c'est comme les horoscopes dont on ne tient pas compte mais que l'on lit toujours. Savoir qu'il pleut à Perpignan alors qu'il fait beau ici, ça a quelque chose de jouissif, non? Tout cela, tu l'avais entendu cent fois, mille fois, chaque matin pendant que le café passait et que tu te disais qu'il serait temps de détartrer la cafetière. Mais ce bruit de tuyauterie irrégulière te plaisait, et l'odeur qui envahissait la cuisine. La première cigarette, avant le café, comme un plaisir interdit, quelque chose de râpeux qui finirait bien par te réveiller.

A l'immeuble d'en face, un store s'était décroché avec le vent de la veille. Tu entendais, mais d'où, quelqu'un s'exercer déjà à la clarinette. Un dimanche matin, petit réveil. Les autres dormaient encore. Tu imaginais les odeurs moites des chambres à coucher, ces corps séparés dans leurs rêves, ces bouches ouvertes qui ne disaient encore rien. Et tu te sentais bien seul. Juste encore un peu et tu renaîtrais au jour. C'est là qu'il est arrivé, tellement gros que ce devait être un mâle. Il s'est perché sur ta rambarde, au-dessus des géraniums qui n'étaient pas encore fleuris. Ton immobilité l'a rassuré. Rien à craindre de toi? Comment pouvais-tu savoir que c'était toi qui avais à craindre de lui?

Il a assuré sa position avec un petit pas de côté, de ses pâtes rongées par les parasites, et s'est mis à te fixer de son œil rond. Au début, tu n'y as pas prêté attention. Un pigeon, ce n'est pas original dans le décor. Mais lorsque tu as porté la tasse à tes lèvres, tu as saisi son regard. Il était expressif, plus que de coutume, un regard haineux, chaud, qui t'a fait frissonner. Allons, un reste des lourdeurs de la nuit. Ce n'était qu'un pigeon, et laid comme la maladie, un de ces spécimens qui échappent à tous les dangers et espèrent bien encore tirer profit de leur chienne de vie avant de se retrouver secs sur un trottoir. Même lorsque tu t'es levé, il ne s'est pas envolé. Il continuait à te fixer, sans bouger. Seule une petite brise faisait parfois frissonner ses plumes les plus légères.

Va au diable! as-tu penser en te dirigeant vers la salle de bains. Je ne vais pas passer le journée en tête à tête avec toi. Tu as voulu te raser, mais, lorsque tu as aperçu ton visage chiffonné dans le miroir, tu as compris que ce ne serait plus jamais comme avant. Ton œil était terne et globuleux. Pas d'expression de fatigue ou d'étonnement, pas de curiosité, pas de désir. Rien. Il n'y avait plus rien au fond de ta pupille. Le pigeon t'avait volé ton âme. Mais allez raconter ça!

Momentini


  •  Vendredi: rendez-vous chez l'urologue reporté. Prévenu la veille à midi. "Ça fait trois jours que l'on essaie de vous joindre!". Et le portable, tu connais? Ce sera mercredi.
  •   Samedi: vide-grenier à côté de chez moi. C'est devenu une institution depuis deux ans. Des fonds de rebuts , aussi tristes qu'une maison en démolition dont les papiers peints jaunis ne savent plus que flotter au vent.
  •  Samedi: exposition au Musée des Moulages. Remise en forme de l'exposition Celebration of the body de l'artiste canadien Iain Baxter qui photographie des reproductions d'œuvres dans des livres d'histoire de l'art. Aucune inventivité dans la mise en espace. Les moulages antiques avaient l'air punis. Mais j'aime toujours autant cette ancienne usine reconvertie en salle d'exposition. Je voudrais voir toutes ces statues au clair de lune. 
  •  Samedi: à pied au cimetière. L'herbe avait bien poussé et un lierre avait gelé. Acheté un géranium, rouge pétant. Il n'y a personne dans les cimetières à cette époque. 
  •  Dimanche: le vent, pour change. Bourrasques dans la tête de ma sœur. Frédéric et Jean-Claude partent pour le midi. Il fait mauvais. Je ne les rejoindrai pas. Achète des anthuriums au marché. Le vent plie le bouquet. Il résistera jusqu'à mon salon. 
  • Dimanche: Charden est mort. Bon, ben ça arrive. On en parle plus que l'on a parlé de la mort de Mouloudji.
  •  Lundi: la rue pour moi tout seul ce matin. Pourtant tous les élèves sont là. Un père désemparé à midi. Que dire? Je ne suis pas psy quelque chose. 
  •  Lundi: un ami dans le désarroi m'appelle. Plus d'une heure au téléphone. Je trouve des mots. Sont-ce les bons? 
  •  Lundi: comment fait-on pour aller à la ligne avec ce putain de nouveau programme Blogger?

dimanche 29 avril 2012

Le retable d'Issenheim

Le retable d'Isenheim a cinq cents ans cette année. Conservé aujourd'hui au Musée d'Unterlinden à Colmar, il a été peint par Matthias Grünewald à partir de 1512 (les partie sculptées, de Nicolas de Haguenau sont antérieures: 1490) pour le couvent des Antonins à Isenheim, près de Colmar et est consacré à Saint Antoine. Mais le plus fascinant est la scène de Crucifixion qui apparaît lorsque les panneaux de ce polyptique sont refermés. Je l'ai découvert avec Pierre, il y a de nombreuses années, lors de notre voyage en Alsace. J'avais été totalement époustouflé par la beauté de cette œuvre. Sur un arrière-plan très sombre, le corps du Christ est celui d'un supplicié: pas de beauté angélique, pas de douceur saint-sulpicienne, de la douleur à l'état pur. Ce corps, distendu par son propre poids , n'a pas de repose-pieds salvateur, les clous dans ses pieds et ses mains les distordent atrocement, les traces de son supplice, stigmates et flagellation, ne sont pas cachés ni embellis.
Et la Vierge, que soutient Saint Jean, est une femme qui voit mourir son enfant. A demi pâmée, elle est livide, comme vidée de son sang. Le supplice de la croix était, dans l'empire Romain, réservé aux esclaves (les citoyens romains étaient, eux, décapités, comme le fut Saint Paul) et le crucifié mourait lentement, par étouffement, dans de terribles souffrances. Je n'ai jamais vu aucune autre œuvre picturale rendre à ce point réaliste cette scène tant de fois adoucie par les artistes au cours des siècles. Seul le Christ mort de Mantegna peut, par certains aspects, y faire songer. (Photos empruntées à Internet, sans indication de provenance.)

Et ça ne fera pas un pli !

Cours Gambetta, Lyon 3°

samedi 28 avril 2012

Chiffre rond

Le billet précédent était le 3000°! Quel bavard, ce Calyste! Et ce n'est pas fini!

Bonbon Palace

On prend un livre parce qu'on vous l'offre, pour l'achat de deux autres qui vous plaisent. On se dit que, probablement on ne le lira pas. On n'en connaît ni le titre ni l'auteur. Et puis, un soir, on se met à le parcourir. On se dit que ce n'est pas mal écrit, voire bien, on poursuit et l'on avale ainsi les six cents pages de cette histoire loufoque d'un immeuble à Istanbul en période contemporaine. Copieux, trop parfois, mais jamais indigeste. Connaissez-vous les coiffeurs Djemal et Djelal, Su, la fillette curieuse, Sidar et son chien Gaba, Hadji Hadji, le grand-père qui effraie et ravit ses petits enfants par les contes qu'il leur récite, Mme Teyze, la vieille dame par qui tout arrive, et la belle Maîtresse bleue ? Ce sont tous les habitants de cet immeuble, le Bonbon Palace, à qui, à tour de rôle, un chapitre est consacré et qui tentent chacun à sa façon de se débarrasser de l'odeur de détritus qui leur pourrit la vie. Mais sont-ce réellement les poubelles qui encombrent l'espace qui sont responsables de ces miasmes? Vous l'aurez compris, j'ai aimé, à ma grande surprise, et Elif Shafak, écrivain turque née à Strasbourg, mérite bien un détour. (Elif Shafak, Bonbon Palace, Ed. Phébus.)

Dos au mur

Mur peint, Lyon 7°

Et un peu de musique, ça vous dirait? (98)

Fauré, Requiem. In Paradisum

Tout est en ordre.

23h53. Que dire à cette heure-là? Il est trop tard pour le rendez-vous de 22h22 avec Georges. La ville est déjà presque endormie. Quelques attardés sur les bancs de la place rient gras encore une fois avant de disparaître, le fils du patron du bar portugais finit le nettoyage avant de fermer, Mon immeuble est silencieux. Sans doute y suis-je encore le dernier éveillé. Mes rideaux sont tirés. Je suis dans mon cocon. J'aime ce moment qui n'appartient qu'à moi, vieil égoïste qui a un peu bu ce soir, beaucoup fumé, qui n'a plus peur de la solitude. Le livre est là, pas loin, presque fini. D'autres attendent, tout proches. Le westminster ne sonnera pas:depuis des années, j'ai bloqué le mécanisme. Le bruit de ses rouages me dit qu'il est minuit. Déjà demain. Ma vielle voisine a eu ses courses. Elle m'a expliqué ses malheurs. Tout est en ordre. La maman avec qui j'avais rendez-vous ce matin était malade. Rien à faire qu'à regarder le soleil et le ginkgo biloba que le vent n'a pas réussi à blesser hier. Il sera encore là quand je n'y serai plus. Tout est en ordre. Rendez-vous reporté avec l'urologue. Il a fallu changer aussi le dentiste. Quelle importance? Tout est en ordre, et dans ma tête et dans mon agenda. Ce matin, j'ai fait rire mes élèves. Ils ne sont pas sensibles à la poésie. Ou peut-être que la leur est ailleurs. Comment leur en vouloir? Bientôt ils se débrouilleront seuls et j'en serai à la relecture. Rideau tiré. Dans mon cocon. Tout est en ordre. L'avenir, c'est demain.

jeudi 26 avril 2012

Pages marquantes (36)

L’arrivée d’Augustin Meaulnes, qui coïncida avec ma guérison, fut le commencement d’une vie nouvelle.
Avant sa venue, lorsque le cours était fini, à quatre heures, une longue soirée de solitude commençait pour moi. Mon père transportait le feu du poêle de la classe dans la cheminée de notre salle à manger ; et peu à peu les derniers gamins attardés abandonnaient l’école refroidie où roulaient des tourbillons de fumée. Il y avait encore quelques jeux, des galopades dans la cour ; puis la nuit venait ; les deux élèves qui avaient balayé la classe cherchaient sous le hangar leurs capuchons et leurs pèlerines, et ils partaient bien vite, leur panier au bras, en laissant le grand portail ouvert…
Alors, tant qu’il y avait une lueur de jour, je restais au fond de la mairie, enfermé dans le cabinet des archives plein de mouches mortes, d’affiches battant au vent, et je lisais assis sur une vieille bascule, auprès d’une fenêtre qui donnait sur le jardin.
Lorsqu’il faisait noir, que les chiens de la ferme voisine commençaient à hurler et que le carreau de notre petite cuisine s’illuminait, je rentrais enfin. Ma mère avait commencé de préparer le repas. Je montais trois marches de l’escalier du grenier ; je m’asseyais sans rien dire et, la tête appuyée aux barreaux froids de la rampe, je la regardais allumer son feu dans l’étroite cuisine où vacillait la flamme d’une bougie.
Mais quelqu’un est venu qui m’a enlevé à tous ces plaisirs d’enfant paisible. Quelqu’un a soufflé la bougie qui éclairait pour moi le doux visage maternel penché sur le repas du soir. Quelqu’un a éteint la lampe autour de laquelle nous étions une famille heureuse, à la nuit, lorsque mon père avait accroché les volets de bois aux portes vitrées. Et celui-là, ce fut Augustin Meaulnes, que les autres élèves appelèrent bientôt le grand Meaulnes.
Alain-Fournier, Le grand Meaulnes.

Souffle

Je l'ai retrouvée à six heures moins quart, à la sortie de la bouche de métro, assaillie par les rafales d'un vent violent qui n'a pas cessé de la journée. Nous avons fait ensemble le peu de chemin qui restait jusqu'au lieu des réjouissances. Pour la distraire de la tension que je sentais en elle, je lui ai montré cette plaque contre un immeuble bourgeois, quelques mots commérant le séjour de quatre ans de Baudelaire ici. Elle ne l'avait jamais vue. Moi, j'ai mis longtemps à la repérer.

Le coin de la rue. Nous y sommes. Déjà des têtes connues sur le trottoir. Plus encore à l'intérieur, qui se pressent dans l'atrium où un semblant d'exposition historique est affichée. Bien piètre hommage à ces quarante d'existence. Au début, je la précède, les gens la découvrent derrière moi lorsque je m'écarte. Tous sont heureux de la revoir. Pas seulement de la politesse (peut-être pour certains), de la vraie joie, comme celle d'Isabelle qu'elle étreint longuement dans ses bras. Bien vite, elle navigue seule. Je me laisse happé par tous ces visages, vieillis pour la plupart mais qui s'éclairent encore d'un large sourire, ceux des trois établissements que j'ai fréquentés en tant qu'enseignant, ceux que j'ai côtoyés au Conseil d'Administration ou dans les réunions de l'Association, ceux des anciens parents responsables de la chorale ou de la catéchèse, ceux des anciennes secrétaires. Comme une réunion de famille.

Je craignais du béni-oui-oui. La messe fut simple et sincère dans cette chapelle néo-gothique qu'une restauration réussie rend presque belle. Dans le chœur, l'alpha et l'oméga. Au dernier rang, tout près de moi, un très jeune surveillant du collège, nouveau de cette année. Comme en écho, un autre début et une autre fin. Quand nous ressortons, le vent souffle encore plus fort. Marie-Claire m'invite au restaurant et ne choisit pas le moindre: la Tassée où Sagan avait ses habitudes. Un dîner parfait et plein de saveurs délicates. La conversation durera encore longtemps devant le métro où elle disparaîtra pour ce soir.

J'ai envie de rester seul, de "me parler à moi-même" comme elle l'a dit. Sur le pont du Rhône, je marche difficilement. Une jeune fille toute fluette me dépasse et progresse d'un bon pas. Comment fait-elle pour marcher aussi vite? Les rafales violents me font du bien, comme si l'esprit avait décidé de souffler plus fort ce soir.

Bizarre

Plus un commentaire depuis quelques jours! Bizarre! Je ne prétends pas que mes billets soient à ce point intéressants, mais tout de même. Le vide total et prolongé est assez rare pour que je le remarque. De plus, P.P le moqueur semble avoir le même problème. Serait-ce un coup de Blogger et de sa nouvelle formule qui nous casse les pieds ?
SVP, essayez et dites-moi, sur mon mail ou chez vous, car si ça ne marche plus chez moi, je ne le saurai pas! Logique!

mardi 24 avril 2012

Au fil des rues (2)

Face au garage Citroën se trouve, en bordure de la rue de l'Université, la Miroiterie Targe. Une autre adresse célèbre de la vie lyonnaise. Même si les camions de livraison encombrent souvent la rue de Marseille le matin quand je pars au travail, je ne peux m'empêcher d'aimer cette façade. Une très vieille institution lyonnaise puisque la maison ouvrit ses portes en 1907. Je n'y ai jamais rien acheté, je n'y suis même jamais entré. La maison a une réputation de sérieux et d'efficacité mais pratique, paraît-il, des prix élevés. La rue de l'Université est une très ancienne voix de communication puisqu'elle remonte sans doute à l'Antiquité et reliait probablement la ville de Vienne à celle de Lugdunum. Elle aurait traversé une nécropole romaine dont certains vestiges ont été découverts au XIX° et XX°siècles dans son périmètre. C'est ainsi donc que, tous les matins, je mets mes roues dans les pas des Antiques et grimpe comme eux la colline pentue du haut de laquelle rayonnait la Capitale des Gaules. Aujourd'hui, les miroirs exposés ne reflètent plus que le va-et-vient incessant des tramways surpeuplés.

Revanches

Demain, c'est la fête chez nous! Quarante ans d'existence pour cette association d'établissements scolaires. Sur ces quarante ans, j'en ai passé trente deux avec eux, la plupart heureux et enrichissants. Je n'avais pourtant pas l'intention de me rendre aux festivités car l'évolution en cours depuis quelques temps ne me plaît guère.

 Mais Marie-Claire m'a téléphoné. Elle, qui en a été exclue injustement il y a déjà bien longtemps, sent que la période du pardon est arrivée pour elle. J'étais au conseil d'administration à l'époque des faits et je l'ai défendue bec et ongles. Mais que peut un petit professeur face à une décision déjà prise au plus haut niveau?

Nous irons donc demain soir, ensemble, retrouver nombre d'anciens à la retraite. Je n'ai pu m'empêcher de penser à Kicou ces derniers jours, elle qui croyait tellement à cette association. Elle ne sera pas là pour assister au quarantième anniversaire. Mais d'y aller avec Marie-Claire me procure une grande joie: celle de la revoir d'abord, celle ensuite de lui voir franchir ce pas encore impensable jusqu'à aujourd'hui. Et puis celle pour moi d'avoir ma petite revanche sur les imbéciles qui ont voulu son départ. Ce n'est pas peu fier qu'à son bras, demain, je franchirai le grand portail qui m'impressionnait tant autrefois.

Saône-et-Loire (5)

Ce que j'ai oublié de dire, et pour en finir, c'est la quiétude des maisons de pierres taillées, de la pierre claire et qui parfois brille au soleil, les pommes des nuages, la beauté des grands arbres isolés qui ponctuent l'horizon, la discrétion des gentilhommières perdues au fond de leurs allées, l'abondance des prés d'un vert si beau au printemps, les taches des bovins, blancs dans la verdure, la jeunesse de cette nature et son antique sérénité, bercée par les collines et les étangs moussus, l'eau qui court partout jusqu'au pied des églises. Une France d'autrefois qui renseigne l'esprit.

lundi 23 avril 2012

Saône-et-Loire (4)

J'avais contre Paray-le-Monial un préjugé assez défavorable. Le nom, d'abord, trop dur à l'oreille, peu fait pour soutenir l'imagination. Son pèlerinage ensuite né d'une apparition au XVII° du Sacré-Coeur à Marguerite-Marie Alacoque. Ce genre de bondieuseries m'est assez étranger. J'avais plusieurs fois traversé la ville sans jamais m'y arrêter, sans jamais visiter sa basilique. Les parodiens (dits aussi cacous) me pardonneront. J'avais tort: Paray est une ville intéressante et sa basilique vaut le détour, de même que quelques très belles bâtisses du centre historique.
L'hôtel trouvé, nous allâmes, Frédéric et moi, faire un premier petit tour de ville en finissant par l'apéritif, pris dans un bar-restaurant proche des lieux à visiter. C'est d'ailleurs là qu'ensuite nous dînâmes, L'Hostellerie des trois Pigeons ne nous disant rien (nous n'avions pas envie de faire le quatrième et le cinquième!) et le serveur nous paraissant bien "sympathique"!
Pas grand monde dans la salle, à l'exception d'un vieux célibataire ventripotent un peu simple qui semblait y avoir établi ses quartiers et du couple de patrons qui mangeaient là ce soir-là en compagnie d'une amie et de son fils cadet (l'ainé étant le serveur attrayant). La conversation fut vite engagée en fin repas et nous n'eûmes pas à le regretter tant nous avons ri. La patronne en particulier est un phénomène. D'origine pieds-noirs, elle n'a pas peur de tenir le crachoir (au grand dam de son mari qui ne pouvait pas en placer une) et de dire crument ce qu'elle a à dire. Un exemple: alors que l'autre femme évoquait ses deux précédents mariages suivis de deux divorces, elle conclut fort philosophiquement: "Eh oui, on se lèche le cul et après on ne s'aime plus!". Ce n'est que bien plus tard que nous regagnâmes notre chambre, après avoir été invités à partager le verre de l'amitié et juré qu'à notre prochain visite, nous accepterions de loger chez elle.
La visite de la basilique fut pour le lendemain. Ville tranquille hors période de pèlerinage, Paray nous réserva quelques rayons de soleil. L'église est belle, en particulier le narthex du XI°, et imposante. Contrairement à quelques-unes de ses voisines, son architecture clunisienne est très bien entretenue. Avant de quitter la ville, nous avons fait l'achat de trois douzaine d'escargots de Bourgogne pour le repas du soir avec Jean-Claude.
L'après-midi, nous rentrâmes par Iguerande, petit village à la limite de la Loire et patrie de naissance d'un de mes vieux amis. Encore un bel édifice dans sa simplicité. Le détour par Charlieu fut inutile puisqu'il pleuvait et que les bâtiments de l'abbaye et du couvent des Cordeliers n'étaient pas encore ouvert à la visite. Deux jours pleins de bonne choses, donc, et pour les yeux et pour l'estomac!

dimanche 22 avril 2012

Saône-et-Loire (3)

De ci de là....
A Marcigny. Mesdames, si ça vous dit!
A Montceaux-l'Étoile. Trop mimi (mais pas pinson!)

Saône-et-Loire (2)

Anzy-le-Duc se situe à quelques kilomètres de Marcigny en remontant sur Paray-le-Monial. Autre petite merveille de l'art roman (mais je vais être obligé de me répéter souvent en présentant toutes ces églises!). Plus légère, plus aérienne que celle de Semur, elle montre également un intérieur beaucoup plus lumineux. C'est au sommet de l'un de ses piliers que se trouve le fameux chapiteau de "l'acrobate" qui serait en fait Jonas au moment où il est recraché par la baleine.
Saint-Yan est un village qui ne présente aucun intérêt si ce n'est une petite chapelle qui domine le vieux cimetière et qui aurait besoin d'un sérieux entretien, de son intérieur délabré en tout cas, et des ses alentours (ah! la ferme en contrebas!) .
Revenant sur nos pas, nous poussâmes jusqu'à Montceaux-l'Etoile. Et là, nouvelle petite merveille: Saints Pierre et Paul, du 12è siècle au porche à la pierre rougeoyante (un des plus beaux du Brionnais), et aux vitraux modernes dus à un artiste asiatique dont le nom m'échappe maintenant.
Le soir, ce sera Paray-le-Monial. Mais ceci est une autre histoire (pour demain)!

Saône-et-Loire (1)

Notre première arrêt en arrivant en Bourgogne fut pour le syndicat d'initiative de La Clayette où nous fûmes cette fois-ci encore très bien reçus par une dame agréable et compétente qui nous donna la documentation nécessaire pour établir un semblant d'itinéraire. Nous étions tout près d'un des plus beaux villages de France (et sa réputation n'est pas usurpée!): Semur-en-Brionnais. Peu de gens rencontrés dans notre visite (comme d'ailleurs dans tous les sites): les touristes avaient-ils donc eu peur du ciel menaçant, qui finalement se montra plus clément que ce à quoi nous nous attendions?
Je pense, pour ma part (et Frédéric était d'accord avec moi) que la Collégiale Saint-Hilaire est un chef-d'œuvre de l'architecture romane, probablement une des plus belles églises de cette région. Dernière construite dans le Brionnais, elle fut édifiée au XII°. Pillée par le prince de Galles en 1364, elle fut ensuite incendiée par les Huguenots pendant les guerres de religion du XVI°. Le tympan du portail représente le Christ Tétramorphe dans sa mandorle entouré des quatre évangélistes représentés par leurs symboles animaux. Le linteau résume la vie de saint Hilaire, évêque de Poitiers, qui combattit toute sa vie l'hérésie de l'Arianisme (IV°). L'intérieur est tout aussi splendide: il reprend la caractéristique de Cluny par sa triple élévation de la nef mais possède, et c'est la seule église à avoir cette particularité, une très belle tribune en encorbellement. La seconde station s'effectua à Marcigny où, plus prosaïquement, nous nous adonnâmes au plaisir du ventre, dans un petit restaurant où un très bon menu complet avec vin et café nous fut servi pour 12 euros cinquante. Allez trouver ça à Lyon! (Désolé pour cette présentation inesthétique: je ne saisis pas encore toutes les nuances de la nouvelle façon de procéder sur Blogger!)

samedi 21 avril 2012

Retour

La Bourgogne du sud, le Brionnais, on ne s'en lasse pas. On peut y aller, y retourner, passer aux mêmes endroits, en découvrir d'autres, on n'a jamais épuisé ses trésors d'art roman. Ces deux jours là-bas n'ont pas failli à la règle. De Semur-en-Brionnais à Anzy-le-Duc, de Montceaux-l'Étoile à Paray-le Monial, de Iguerande à Charlieu, c'est toujours le même émerveillement devant un alliage si subtile entre simplicité, spiritualité et beauté. Même le temps n'a pas été aussi méchant que prévu. Compte rendu de ce voyage, avec photos, un peu plus tard car ce soir, c'est fatigue, bonne fatigue, et envie de mon lit et d'un bon bouquin. Et puis il y a cette nouvelle présentation de Blogger à laquelle il faut que je m'habitue. On nous change tout sans nous prévenir! J'espère seulement que ce billet pourra être posté sans encombre. Alors, demain, lorsque vous serez (et je serai ) lassés des commentaires politiques.

jeudi 19 avril 2012

A Rome ? Non !










Chez moi !

Momentini

- Ça y est, c'est fait: j'ai trouvé le canapé de mes rêves, en cuir gris cousu main, made in Italie. Et pour le prix d'un trois places, j'en ai eu un autre, à deux places, en profitant d'une promotion sur quelques jours et d'un crédit gratuit. Plus qu'à attendre douze semaines avant d'être livré. J'avais emmené Frédéric et Jean-Claude avec moi pour être sûr de mon choix. Je n'ai pas demandé à mon compte en banque ce qu'il en pensait...

- Mes résultats d'analyse des PSA ne sont pas bons cette fois-ci. Alors qu'ils baissaient régulièrement depuis quelques mois, ils ont brusquement grimpé. Plus qu'à attendre le rendez-vous chez l'urologue la semaine prochaine.

- Une petite boutique Emmaüs s'est ouverte tout près de chez moi. N'ai pas pu résister à acheter le dernier prix Goncourt de mon (presque collègue). 4 euros au lieu de 21. Ne lui dirai pas que ce n'est pas grâce à moi qu'il va gagner sa vie!

- Demain, départ pour la Bourgogne avec Frédéric. Du côté de Tournus, sans itinéraire préalablement établi. Nous aimons tous les deux les églises. Ça tombe bien! En priant le ciel de ne pas nous tomber sur la tête. Le liquide, on a déjà beaucoup donné ces jours-ci.

- Vu à midi un reportage sur les hortillonnages picards. Un coin de France que je ne connais pas, avec la Normandie. A prévoir pour un prochain voyage.

Au fil des rues (1)

Lorsque je vins à Lyon, à l'Université, je ne pouvais pas manquer de remarquer ce bâtiment imposant à quelques pâtés de maisons de la Faculté des Lettres. Situé à l'intersection des rues de Marseille et de l'Université, dans le septième arrondissement, le garage Citroën a été construit entre 1930 et 1932 sur les plans de l'architecte en chef de la firme automobile, Maurice-Jacques Ravazé. Ses six niveaux abritent 40.000 m2 de surface utile. Depuis cette époque, il appartient toujours à la même entreprise. Même dans son état actuel, assez proche de l'original, il donne une excellente idée de ce que furent en leur temps les palais de l'automobile à l'américaine. Il fut classé en 1992 à l'ISMH (Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques).

C'est à ses pieds que se déroula pour moi, il y a quelques années, un incident anodin qui aurait pu tourner au vinaigre. Alors que, vers minuit, je rentrais en voiture chez moi, arrêté au feu, j'aperçus, dans le véhicule voisin, un ami pas vu depuis longtemps. Nous nous arrêtâmes quelques instants pour bavarder, heureux de nous retrouver. A ce moment-là, arriva sur le trottoir d'en face, un homme passablement éméché qui, en traversant la rue de Marseille, s'effondra, inconscient, sur la chaussée. Pour lui éviter d'être heurté par une voiture, nous le prîmes, mon ami et moi, l'un par les pieds, l'autre par les bras, pour le déposer sous l'auvent d'une station essence qui existait à l'époque à cet endroit. Visiblement, l'homme était complètement saoul et n'avait besoin que d'un peu cuver son vin avant de repartir. Il pourrait ainsi, là où nous l'avions mis, le faire en toute tranquillité.

Après les vacances scolaires, j'eus, à mon retour à Lyon, un coup de téléphone de mon ami qui me demanda si je me souvenais de ce que j'avais fait dans la nuit du tant au tant (soit bien deux mois auparavant). Comme je commençais à douter de son sérieux devant l'incongruité d'une telle question, il m'expliqua l'affaire: une femme nous avait aperçus de sa fenêtre pendant que nous transportions le poivrot à l'abri et avait téléphoné à la police, assurant que nous avions projeté le corps de notre voiture avant de nous enfuir. Il me fallut prendre rendez-vous avec un commissaire de police pour lui expliquer exactement ce qui s'était passé. Ce que mon ami avait oublié de préciser dans sa déposition, c'est qu'il y avait ce soir-là un autre témoin dont, moi, je me souvenais: un chauffeur de bus qui rentrait au dépôt et, nous voyant ployer sous le poids de l'homme, avait proposé de nous aider dans notre tâche salvatrice. L'affaire n'alla heureusement pas plus loin et nous n'en entendîmes plus jamais parlé. J'eus tout de même un moment de frayeur rétrospective en imaginant ce que cela aurait donné si ce pauvre type était mort pendant la nuit...



A quelques pas de là, rue d'Anvers, ce petit garage d'angle est, malgré son nom, plus près de la démolition que du classement !

mercredi 18 avril 2012

The Jean-Claude touch







Je lui devais bien ça!

Et si je me trompe...

Maria n'ira pas voter dimanche. Elle me l'a dit. Non pas qu'elle manque de conviction politique, non pas qu'elle ne veuille accomplir son devoir de citoyenne, mais parce qu'elle ne peut pas. Elle ne sait pas lire. Elle a peur de se tromper au moment de choisir son bulletin, elle a la hantise surtout du regard des autres qui s'en apercevraient. Je n'avais jamais pensé à ça, à la difficulté pour des gens comme elle à accomplir un geste aussi simple que celui qui consiste à glisser un nom dans une enveloppe. Elle l'a fait autrefois, lorsque son mari était encore en vie. Et depuis, sur ce point au moins, elle vit en infirme. Elle a développé, en personne intelligente, des tas de stratégies pour remédier à ce handicap, mais là, la circonstance lui apparaît trop solennelle.

Je lui ai montré la grosse enveloppe brune reçue l'autre jour et sorti les bulletins qui s'y trouvent avec la photo et le petit laïus de chacun des candidats. Je lui ai proposé de lui donner celui pour qui elle veut voter, quel qu'il soit, même si cela ne correspond pas à mon choix. Ainsi, pas d'erreur possible dans l'isoloir: elle n'aurait qu'à glisser celui qu'elle aurait dans la poche. Elle n'a pas voulu. Non pas qu'elle n'ait pas confiance: nous nous connaissons depuis suffisamment longtemps pour qu'elle sache que je ferai exactement ce qu'elle me demanderait et que le secret en serait gardé. Je crois tout simplement qu'elle doute de ses capacités intellectuelles à elle à choisir dans les dix qui postulent la présidence. Encore une fois, elle a peur de mal faire. Tout le monde n'a pas cette délicatesse. Et je ne sais pas si c'est heureux ou malheureux.

Danser

J'ai longtemps rêvé d'être danseur. Non pas danseur classique, rien ne m'attirait dans le pas de deux et les entrechats si ce n'est le spectacle des courbes avantageuses du danseur étoile, qu'elles soient postérieures ou antérieures (avant que je n'apprenne que ce n'était là, pour celle du devant, que l'effet d'une coquille protectrice!).

Danseur dans une compagnie, de ceux qui se démènent derrière le chanteur dont la voix à elle seule n'est pas capable d'assumer le spectacle. Danseur de variétés, si l'on veut. Un parmi d'autres, tous semblables et interchangeables. Pas de grandes chorégraphies, pas de musiques inoubliables, pas même de reconnaissance du public. Juste le petit numéro de trois minutes accompagnant le dernier tube à la mode et destiné à mettre en valeur les capacités gymniques de l'artiste en chef.

Je me suis longtemps demandé pourquoi ce rêve absurde. Car ce ne fut pas une lubie passagère, un truc dont on se dit un soir: "Tiens, ça doit être intéressant!" et que l'on oublie dans les minutes qui suivent. Je n'avais rien qui puisse me conduire à ça: ni le physique, trop maigre à une époque où cela aurait pu encore être possible, ni l'état d'esprit, ni l'envie de faire carrière dans le show business. C'était un rêve qui ne demandait pas à devenir réalité et qui me tenait pourtant, contre vents et marées.

Et je crois aujourd'hui que cette attirance inexplicable venait sans doute de mon amour des mathématiques, des chiffres plus exactement. Danser, c'est compter ses pas, établir de symétries éphémères, faire partie d'un ensemble dont chaque élément n'a de sens que pris au milieu des autres. Peut-être est-ce pour la même raison que j'aime tant la musique de Bach. Peut-être est-ce du même gène que procède l'habitude que j'avais en courant de régler ma foulée en me mettant, souvent inconsciemment, à compter, jusqu'à douze en général, avant de recommencer. Une sorte de structure, carcérale et libératrice en même temps.

mardi 17 avril 2012

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (97)

Léo Marjane, L'Âme au diable

Restauration









La dernière en date.



Voilà ce que Jean-Claude est capable de faire avec ses petits mimines de fée: il a de l'or dans les doigts, cet homme. Je tiens ce Voltaire d'une de mes grandes tantes. Il y a quelques jours encore, il était dans un état déplorable: ressorts défoncés, velours bordeaux râpé et déchiré par endroit, roulettes totalement hors d'usage. Seul le mécanisme pour incliner le dossier avait résisté aux avanies des années passées.

Je me souviens qu'une nuit, je devais avoir six ou sept ans, j'y avais dormi, chez cette vieille tante qui m'y avait installé une couchette confortable. Las! la charmante dame m'avait permis auparavant de regarder un film à la télévision, ce qui, à cette heure avancée, était formellement interdit par mes parents. Il s'agissait de l'histoire du Curé d'Ars, à qui le Malin, qu'il appelait avec mépris le Grappin, en faisait voir de toutes les couleurs, en bloquant la roue de sa voiture ou en faisant abominablement grincer ses meubles la nuit. J'ai dans la tête que le rôle du Curé était tenu par Pierre Freynay, mais je dois sans doute confondre avec Monsieur Vincent. Or, cette nuit-là, alors que j'attendais ronfler la brave femme dans la pièce à côté, je ne pus fermer l'œil tant j'étais terrorisé: sa grande armoire bressane, qui me faisait face, ne cessait de craquer et de geindre.

Aujourd'hui, je ne peux voir ce fauteuil sans repenser à cette terreur enfantine. Ce fut la seule et unique fois que je couchais et chez ma tante et dans le Voltaire.

Papiers glaçants

J'ai reçu aujourd'hui ma petite enveloppe brune avec les programmes de ces messieurs-dames entre qui nous allons devoir choisir dimanche qui vient. Outre le fait que je suis chaque fois exaspéré par la présence sur l'adresse de tous les prénoms reçus à la naissance (mais après tout ce sont bien les miens!), je ne peux m'empêcher de penser, en en soupesant le poids, à tous ces arbres sacrifiés pour des paroles en l'air. La plupart de ces enveloppes finissent directement dans la poubelle de l'immeuble, comme de vulgaires publicités (mais s'agit-il d'autre chose ?)

Nous sommes abreuvés depuis quelques semaines de discours et de débats, tous stériles et d'un niveau alarmant, la plupart du temps, pour une démocratie. Si nous voulons connaître les idées de ces gens-là, n'y a-il pas d'autres moyens que ce déluge de papiers? Qui, d'ailleurs, parmi les électeurs, les lit vraiment? Lequel la moindre de ces bafouilles va-t-elle faire changer d'avis? Si c'est le cas, c'est encore plus inquiétant car une conviction politique basée sur ce genre de littérature (ou de photographies retouchées) me semble bien piètre!

On me rétorquera que ce sont des arbres faits pour ça, qu'on les plante et qu'on les coupe dans un but bien défini. Ce ne sont pas de "vrais" arbres. Ainsi en est-il aujourd'hui des arbres comme des poulets: il y a les label rouge et il y a les autres. Et où sont les dindons de la farce?

lundi 16 avril 2012

Trois jours en avril

Serait-ce le cœur de l'été et les nuits ardentes qui poussent à procréer? Toujours est-il qu'en consultant la liste des gens célèbres nés un 14, 15 ou 16 avril, on serait tenté de le croire. Jugez par vous-mêmes:

Nés un 14 avril:
- cinéma: Robert Carlyle, Julie Christie, John Gielgud, Dany Robin, Rod Steiger
- photo: Robert Doisneau
- politique: François Duvalier

Nés un 15 avril:
- cinéma: Josiane Balasko, Claudia Cardinale, Georges Descrières, Emma Thompson, Pierre Vaneck
- peinture: Léonard de Vinci
- sociologie: Emile Durkheim
- musique: Neville Marriner
- littérature: Jean Moréas
- politique: Eugène Poubelle, Marthe Richard, Louis-Adolphe Thiers
- sports: Raymond Poulidor
- chanson: Bessie Smith

Nés un 16 avril:
- religion: Benoît XVI
- cinéma: Michel Blanc, Sacha Briquet, Charlie Chaplin, Peter Ustinov
- danse: Merce Cunningham
- littérature: Anatole France, Tristan Tzara
- chanson: Boby Lapointe,
- journalisme: Pierre Lazareff
- musique: Henry Mancini, Ray Ventura
- peinture: Elisabeth-Louise Vigée Le Brun

Et je n'ai que citer les plus connus, que je les apprécie ou pas. Et puis, et puis, il y a quelqu'un à ne pas oublier, qui fête ses 91 ans aujourd'hui et que vous connaissez tous. Alors, bon anniversaire, LA VACHE QUI RIT !

Plus rien à voir

Les caves, ce n'était rien, que des choses relativement récentes, pour la plupart résidus des derniers travaux chez moi ou caissettes en plastique conservées pour transporter des gravas. Rien qui touche, rien qui fasse se souvenir avant de jeter.

Les greniers aussi étaient pleins, depuis la nuit des temps, depuis mon dernier déménagement il y a vingt ans. Des stores que j'ai aimés et qui n'étaient plus aux dimensions, en particulier celui de mon ancienne salle à manger, bordeaux, qui, fermé, créait une si jolie lumière. De vieilles machines à écrire à marguerite pesant des tonnes et la dernière qui m'a servi si peu jusqu'à l'arrivée d'un ordinateur à la maison. Des cartables à foison, à moi ou à je ne sais quel locataire précédent qui les avait laissés là, avec des devoirs d'enfant à l'intérieur. Des étagères, celle d'angle de la cuisine où se plaisait tant la misère qui dépérit quelque temps plus tard dans sa nouvelle installation. De vieux rouleaux de papiers peints, restes de travaux là-bas, des vitres, des miroirs et trois ou quatre cartons de livres redécouverts derrière tout ce fatras et que je trierai pour en faire profiter quelqu'un d'autre.

Et puis la télévision, ancestrale, qu'il a fallu être deux pour transporter et que j'avais ramenée ici parce que, bien qu'en panne et destinée à être jetée lors du déménagement, elle s'était décidée à redémarrer juste avant que je referme définitivement la porte. Alors me sont revenues en mémoire les dernières images qu'elle avait consenti à nous livrer, alors que la lumière en était défaillante et que j'en incriminais la responsabilité aux techniciens roumains. Fin des années 80, le procès des époux Ceausescu à Bucarest. Ces années de désenclavement de l'Europe de l'Est, ces années où nous croyions encore à un monde meilleur parce qu'espéré libre.

Allez, avance, vieille carne.... J'ai, une fois de plus aujourd'hui, comme un poids de moins sur les épaules.

dimanche 15 avril 2012

Momentini

- Journée pluvieuse, donc jeu avec ma mère. Le mot le plus long. Un peu de gymnastique de l'esprit, ça ne peut que lui faire du bien. Alors que nous restions plutôt secs avec ma sœur, elle nous regarde en souriant, un sourire moqueur dont elle a la recette exclusive, et nous sort: cambiste. Un huit lettres (sur neuf proposées) que nous n'avions vu ni l'un ni l'autre. Pas mal, Madame!

- Demain, avec Jean-Claude, je débarrasse caves et greniers. Au pluriel parce que j'en ai deux de chaque. Et pleins comme des œufs! Plusieurs trajets à prévoir à la déchetterie. Sous la pluie, ça va être drôle!

- Des arums blancs achetés ce matin au marché. J'aime cette fleur pourtant un peu prétentieuse. Elle me rappelle mon enfance. Dans la course, le petit parapluie multicolore acheté à Rome l'an dernier a définitivement rendu l'âme. " Agnès, quelle nouvelle? - Le parapluie est mort!"

- Entendu à la radio du De Falia ressemblant à du Chopin! Est-ce possible? Oui!

La dentiste

Cette semaine, rendez-vous chez ma dentiste. Je m'attendais à un bon savon de sa part: elle est coutumière du fait et ne mâche (!) jamais ses mots. Une petite femme speedée qui, avec son masque sur la bouche, me fait penser à un personnage de l'un des albums de Tintin, le méchant chinois qui lui en veut. Je m'étais préparé à la riposte en lui faisant négligemment remarqué son retard sur l'heure du rendez-vous. Pas de chance: elle était à l'heure. A peine le temps d'ouvrir un de ces magazines insipides sur les arts qui trônent dans sa salle d'attente et que l'on peut à peine tenir tant leur papier est glacé.

- Il y a longtemps que je ne vous ai pas vu !
- Un peu, oui...
- Un peu? Deux ans! Et vous deviez revenir dans les six mois!
- Alors, c'est que j'ai oublié!

Allez, sur le fauteuil de torture! Et que j'ouvre grand la bouche, et qu'elle se déguise en méchant d'Hergé, et qu'elle m'installe son machin à pomper la salive. J'attends le verdict.

- A part le tartre, ce n'est pas mal du tout! Vos gencives ont l'air en bon état maintenant. Deux vieux plombages à faire sauter et à remplacer par de la résine: ce sera plus seyant!
- Au fait, pourquoi devais-je revenir dans les six mois suivants le dernier rendez-vous?
- Pour l'état de vos gencives. Je craignais un déchaussement des dents.

Voilà comment parfois, oublier, ça a du bon!

Énigme d'Einstein (solution)

La réponse est : le poisson appartient à l'allemand.

Voici les éléments regroupés:
- Maison jaune, norvégien,eau, Dunhill, chat
- Maison bleue, danois, thé, Marlboro, cheval
- Maison rouge, anglais,lait, Pall Mall, oiseau
- Maison verte, allemand, café, Rothmans, poisson
- Maison blanche, suédois, bière, Winfield, chien.

Pour trouver, moi aussi, j'avais fait un tableau, mais comme je vous l'ai dit, je n'ai pas pu le remplir totalement cette fois-ci. Avec mes excuses, et félicitations à ceux qui ont été jusqu'au bout. Décidément, je fréquente des gens bien (je dis ça même pour ceux qui n'ont pas trouvé!)

samedi 14 avril 2012

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (96)

Chopin, Prélude n°15 (Goutte de pluie). Maurizio Pollini

Encore une !










Lyon 8°

Naufrages

Il y a cent ans, le Titanic. Comment l'ignorer après le nombre d'émissions à lui consacrées ces derniers jours? Pourtant, ce n'est pas au paquebot que j'ai pensé aujourd'hui, date anniversaire du naufrage, mais à mes deux grands-mères. Je n'avais jamais calculé auparavant que, si l'une avait 8 ans au moment de la catastrophe, l'autre en comptait déjà 27. Ainsi donc auraient-elles respectivement aujourd'hui 108 et 127 ans.

Cent vint-sept ans, cette femme austère qui m'a élevé jusqu'à sa mort, en 1960! Cent huit, celle qui m'apportait des croissants certains matins et attendait patiemment que je les ai terminés devant elle, à la grande exaspération de l'autre qui, bien sûr, n'y aurait jamais touché!

Je ressens étrangement le fait que, plus l'on vieillit, plus le temps se rétrécit, non pas de sa propre vie, c'est une évidence, mais de l'éloignement de celle des autres. Ces femmes me sont encore plus proches alors que je m'achemine lentement vers l'âge qu'elles avaient lorsque je les ai connues (pour l'aînée, car, pour l'autre, cet âge est dépassé!).

vendredi 13 avril 2012

Confluence (3)

Retour à pied par le cours Charlemagne. Les Archives Municipales, derrière la gare de Perrache, proposent en ce moment, deux expositions intéressantes.

L'une consacrée à la famille Morand, celle du fameux pont du 6° arrondissement, et mêle, par une présentation de dessins et de lettres privées, la vie publique lyonnaise entre 1760 et 1815 et les tribulations d'une famille bourgeoise qui en a marqué l'histoire. (Du 4 avril au 1er décembre 2012, "En toutes lettres")




L'autre, quoique moins fournie, est passionnante. Elle fête les cent ans du 7° arrondissement dont je suis le tout proche voisin. Photos d'époque et textes nous font revivre l'histoire de ce quartier,de ces quartiers de Gerland et de la Guillotière, de ses petites gens et de ses industries, des vicissitudes de ses ponts et de sa transformation progressive. ( Du 13 mars au 21 avril 2012, "Le 7e fête ses cent ans")



Et puis, pour finir, deux clichés de ce Lyon (voûtes de Perrache) qui disparaît et dont ne restent que quelques traces de ce que j'ai connu en y arrivant, il y a de cela une quarantaine d'années.

Confluence (2)

Puis un repas particulièrement bon chez Patrick et Francine en compagnie de Frédéric. Comme nous hésitions, en plat du jour, à choisir entre pavés d'encornets et tête de veau, nous avons eu droit au deux. Un régal l'un et l'autre, suivis, pour faire glisser, d'un crumble maison aux pommes.

Ensuite, promenade dans le nouveau centre commercial (dit: quatre étoiles) récemment inauguré. Une sorte de paquebot sur trois étages, chacun rebaptisé deck, à l'anglaise. Espace largement ouvert et terrasses agréables avec vue sur la darse et le nouveau quartier. Des magasins en veux-tu en voilà, vendant des produits à des prix eux aussi quatre étoiles. Ce nouvel espace commercial s'imposait-il à Lyon ? Je n'en suis pas certain. L'ouverture des galeries sur l'extérieur et la couverture de l'ensemble par une sorte de verrière "matelassée" me font craindre le pire par grande chaleur ou par grands froids. Mais la foule s'y pressait cet après-midi et l'on faisait la queue pour obtenir sa carte de fidélité donnant droit à des avantages en tous genres. Je suis reparti les mains vides, aucune enseigne n'ayant été fichue de me procurer le porte-rouleaux de sopalin que je cherche. Je souhaite à ce paquebot luxueux un avenir plus radieux que celui du Titanic...

Confluence (1)

Pas de pluie aujourd'hui. Ciel moutonneux mais à dominante bleue. Jour de sortie donc, avec mon appareil photos qui commençait à s'ennuyer depuis quelque temps. Le beau temps et les vacances, ça stimule. Journée Confluence donc. Confluence, c'est le nouveau quartier "branché" de Lyon, de l'autre côté des voûtes, comme on disait autrefois avec une petite moue méprisante. Il est vrai que ce bout de presqu'île n'avait rien, à l'époque, de bien folichon.

Fin de matinée culturelle avec la visite au Nouvel Hôtel de Région de l'exposition Truphémus (du 3 mars au 23 juin) dans le grand atrium. Je connaissais ce peintre lyonnais (bien que né à Grenoble) pour en avoir vu quelques toiles lors d'une exposition précédente et j'avais particulièrement accroché. La visite d'aujourd'hui m'a confirmé dans ma première impression. Ce monsieur de 90 ans est un grand peintre figuratif. L'expo s'intitule Les trois Lumières et présente des œuvres peintes entre 1951 et 2011 sur différents thèmes: natures mortes, ateliers (des quais de Saône et du Vigan, dans les Cévennes), autoportraits, marines et Japon et enfin cafés de Lyon. Ce sont surtout ces dernières qui m'ont arrêté un long moment parce que le peintre a su y capter non seulement la lumière si particulière dans sa "fragilité" de la ville mais aussi la solitude tranquille et une certaine douceur de vivre. Je crois que ce qui m'a le plus surpris, c'est de retrouver, en toute modestie, dans ses toiles nombre de mes sujets de prédilection pour mes propres photographies, par exemple l'amour des portes, et de ce qu'elles découvrent tout en en gardant le mystère, et les scènes de la vie de tous les jours, avec des gens sans importance surpris dans un moment où ils oublient ce qu'ils sont. Conversations silencieuses, lecture solitaire, attente de l'autre, contre jour et modulations brumeuses. Pas de photos, hélas, à vous montrer: interdiction formelle affichée à l'entrée. Si vous avez l'occasion de passer par là...

"J'ai beaucoup peint Lyon et particulièrement certains de ses cafés à une époque où j'avais le sentiment que leurs jours étaient comptés et que ce climat que j'appréciais disparaîtrait avec eux. Il y avait un tel accord entre le cadre vieillissant et une certaine population qui trouvait là un peu d'humanité, de chaleur et, dans le silence succédant à des atmosphères plus bruyantes, la possibilité de poursuivre leur rêverie personnelle." (Jacques Truphémus)

jeudi 12 avril 2012

Momentini

- Un ami vient d'être titularisé sur son poste à Paris. Il en pleurait de joie hier au téléphone, lui qui doute toujours de ses capacités. Devenir fonctionnaire à 54 ans, après pas mal d'années de galère, ce n'est pas banal.

- Démarchage téléphonique: je décroche et on me demande qui je suis! Pas banal non plus!

- Sans doute petit tour de deux jours en Bourgogne avec Frédéric à la fin de la semaine prochaine. Tu as des idées, Cornus? Je voudrais lui faire découvrir Saint-Philibert, à Tournus. Alors dans ce coin-là. Ou ailleurs.

- Le bougainvillier démarre, le vieux lierre est mort et la glycine ne se décide pas. Sic transit natura mundi...

- Vu hier soir sur Arte Boy A, de John Crowley (2009). Film sombre, très très sombre, malgré quelques moments d'humour. Belle illustration de la connerie humaine qui ne lâche pas quand elle tient une proie.

- On a parfois l'impression, en regardant par hasard certains jeunes gens, que l'on porte atteinte au droit à l'image. Paradoxe: ils font tout pour qu'on les voie!

Juste avant la suivante







Boulevard des Tchécoslovaques, Lyon 8°

L'énigme d'Einstein

Cette énigme a été rédigée par Einstein qui prétendait que 98% de la population mondiale est incapable de la résoudre. Personnellement, j'ai trouvé la solution au bout d'un quart d'heure environ. Mais il y a de cela des années et je ne m'en flatte pas, car, voulant la refaire ces derniers jours, je ne suis pas parvenu à en venir à bout. Ramollissement du cerveau ? Voyons si vous y parviendrez. ( J'ai la solution mais n'en retrouve pas le chemin!)

ÉNIGME:
1. Il y a 5 maisons dans une rue, chacune est de couleur différente.
2. Chaque maison est habitée par une personne de nationalité différente.
3. Chaque personne a une boisson préférée, une marque de cigarettes préférée et un animal domestique.
4. Aucune ne boit la même boisson, ne fume la même marque de cigarettes et n'a le même animal que son voisin.

QUESTION: à qui appartient le poisson?

INDICES:
- l'anglais habite la maison rouge
- le suédois a un chien
- le danois boit du thé
- la maison verte est à gauche de la maison blanche
- le propriétaire de la maison verte boit du café
- la personne qui fume des Pall Mall a un oiseau
- l'homme qui habite la maison du milieu boit du lait
- le propriétaire de la maison jaune fume des Dunhill
- le norvégien habite dans la première maison
- le fumeur de Marlboro habite à côté de celui qui a un chat
- l'homme qui a un cheval habite à côté de celui qui fume des Dunhill
- le fumeur de Winfield boit de la bière
- le norvégien habite à côté de la maison bleue
- l'allemand fume des Rothmanns
- le fumeur de Marlboro a un voisin qui boit de l'eau.

Au travail !

mercredi 11 avril 2012

Entre deux giboulées







Mémorial arménien
Place Antonin Poncet, Lyon 2°

Pages marquantes (35)

Et ce dialogue, que je prise entre tous (Tartuffe, Acte III, scène 3):

ELMIRE
Que fait là votre main?

TARTUFFE
Je tâte votre habit: l'étoffe en est moelleuse.

ELMIRE
Ah! de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse.
(Elle recule sa chaise, et Tartuffe rapproche la sienne.)

TARTUFFE
Mon Dieu! que de ce point l'ouvrage est merveilleux!
On travaille aujourd'hui d'un air miraculeux;
Jamais, en toute chose, on n'a vu si bien faire.

ELMIRE
Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire.
On tient que mon mari veut dégager sa foi,
Et vous donner sa fille. Est-il vrai, dites-moi?

TARTUFFE
Il m'en a dit deux mots; mais, Madame, à vrai dire,
Ce n'est pas le bonheur après quoi je soupire;
Et je vois autre part les merveilleux attraits
De la félicité qui fait tous mes souhaits.

ELMIRE
C'est que vous n'aimez rien des choses de la terre.

TARTUFFE
Mon sein n'enferme pas un cœur qui soit de pierre.

ELMIRE
Pour moi, je crois qu'au Ciel tendent tous vos soupirs,
Et que rien ici-bas n'arrête vos désirs.

TARTUFFE
L'amour qui nous attache aux beautés éternelles
N'étouffe pas en nous l'amour des temporelles;
Nos sens facilement peuvent être charmés
Des ouvrages parfaits que le Ciel a formés.
Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles;
Mais il étale en vous ses plus rares merveilles:
Il a sur votre face épanché des beautés
Dont les yeux sont surpris, et les cours transportés,
Et je n'ai pu vous voir, parfaite créature,
Sans admirer en vous l'auteur de la nature,
Et d'une ardente amour sentir mon cœur atteint,
Au plus beau des portraits où lui-même il s'est peint.
D'abord j'appréhendai que cette ardeur secrète
Ne fût du noir esprit une surprise adroite;
Et même à fuir vos yeux mon cœur se résolut,
Vous croyant un obstacle à faire mon salut.
Mais enfin je connus, Ô beauté toute aimable,
Que cette passion peut n'être point coupable,
Que je puis l'ajuster avecque la pudeur,
Et c'est ce qui m'y fait abandonner mon cœur.
Ce m'est, je le confesse, une audace bien grande
Que d'oser de ce cœur vous adresser l'offrande;
Mais j'attends en mes vœux tout de votre bonté,
Et rien des vains efforts de mon infirmité;
En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude,
De vous dépend ma peine ou ma béatitude,
Et je vais être enfin, par votre seul arrêt,
Heureux, si vous voulez, malheureux, s'il vous plaît.

ELMIRE
La déclaration est tout à fait galante,
Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante.
Vous deviez, ce me semble, armer mieux votre sein,
Et raisonner un peu sur un pareil dessein.
Un dévot comme vous, et que partout on nomme.

TARTUFFE
Ah! pour être dévot, je n'en suis pas moins homme;
Et lorsqu'on vient à voir vos célestes appas,
Un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas.

Molière, Tartuffe

Des mots démodés

Et qui me firent rêver, dans un autre siècle.

Laurent, serrez ma haire avec ma discipline.
(Molière, Tartuffe.)

mardi 10 avril 2012

Et un peu de musique, ça vous dirait ?(95)

Boby Lapointe, L'été, où est-y ?

Il a plu

Il a plu à Lyon aujourd'hui. Presque toute la journée, sauf lorsqu'un coup de vent passager est venu chasser les gouttes un instant. Une pluie froide tombant d'un ciel gris sans nuages définis. La ville, n'importe quelle ville, n'est pas belle sous la pluie. Rues glissantes de pollution accumulée, pollens enchevêtrés au sol en une boue mouvante et collante aux chaussures, flaques huileuses aux caniveaux bouchés, cataractes s'échappant des bâches des terrasses que l'on n'avait pas tirées. Et les gens pressés, se disputant le ras des façades, jouant du parapluie comme on manie l'épée, regardant leurs pieds plutôt que ce qui vient en face.

Ce soir, dans mon bureau, j'entends les rares voitures passer sous mes fenêtres et j'aime le bruit de soie déchirée que font leurs pneus sur la chaussée mouillée. Pas d'autres bruits. Tout s'endort plus vite quand il pleut.

Omar à l'américaine

Bon anniversaire, Monsieur Michel Demitri Chalhoub.

lundi 9 avril 2012

Sculptural

Un autre mot que j'aime, doux et dur à la fois, comme la ligne des corps qu'il impose aux phantasmes, de ces corps parfois rencontrés qui font trembler la main et que l'on préfère voir plutôt que de les toucher parce que l'œil se lasse moins vite que la main, parce qu'il a plus d'un tour dans son sac, l'œil, pour imaginer au delà de la réalité, parce que ce mot me renvoie inlassablement aux naissants émois d'un enfant feuilletant, dans une quête insatiable, ses premières visions de la statuaire antique dont on avait si bien masqué le sexe qu'il ne pouvait qu'évoquer la perfection.

Les cloches sont de retour



Karagar en parlait dernièrement, et je me suis souvenu, grâce à lui, à quel point j'aimais entendre leur son lorsque le bruit ambiant de la ville permet de le percevoir. J'aime aussi le découpage qu'elles font de la journée à la campagne, en particulier les Angelus le matin, le midi et le soir, comme une ponctuation immuable.

On croit entendre toujours le même instrument. En réalité, leur son dépend de la qualité du maître fondeur. Ainsi, en Italie, je les trouve différentes, avec un son plus fêlé, que j'aime bien également parce qu'il m'évoque la voix un peu rauque de certains de leurs chanteurs. La vidéo que j'ai choisie n'est pas la plus belle mais elle m'a accroché à cause de ce qu'on peut y lire à la quinzième seconde (environ) et qui, comme le dirait le Guide vert, vaut le détour!

Quant à leur retour sur le sol national, il me semble indéniable: la campagne pour l'élection présidentielle a commencé ce soir à la télévision!!!

Cibus, vinum et verbum

Alors voilà! Je suis heureux que ce week-end pascal s'achève! J'ai bien cru que mon estomac n'allait pas résister à tant d'agapes et de beuveries, et toutes du meilleur cru. Ce soir, seul à la maison, j'ai regardé avec amour un petit pot de yaourt. Jamais je n'avais eu autant envie de léger. Au point que je me demande même si je vais reparler de tout ça! Bon, d'accord mais ce sera rapide!

Bocuse: en fait sa Brasserie de l'Est, sise dans l'ancienne gare des Brotteaux (il en existe trois autres à chaque point cardinal). Beaucoup de monde en ce dimanche soir de Pâques, trop à mon goût. Beaucoup de bruit donc et une clientèle plus populaire qu'on pourrait le penser. Le repas fut excellent et copieux et le vin choisi avec beaucoup d'à propos. Le point d'orgue en fut un Puligny-Montrachet qui m'a réjoui les papilles.

La soirée aurait été parfaite sans certains membres de la brigade des serveurs (dont l'un avait visiblement de lui une haute opinion quant à son physique avantageux qu'il croyait sublimer par un sourire aux dents blanches qui m'a fait illico le surnommer Colgate) et sans le maître d'hôtel, beaucoup trop décontracté pour ce genre d'endroit et ce genre de circonstance. Je l'ai souvent trouvé à la limite de la vulgarité et je n'ai pas été le seul de cet avis.

Belle-Maman: découverte à sa descente de voiture devant l'entrée du restaurant, façon "Champs-Elysées". Une dame très chic qui a tenu immédiatement à m'embrasser et au bras de qui j'ai fait mon entrée dans la salle. Une conteuse prolixe qui manie un français riche et précis: elle a employé au moins trois mots que je n'avais pas entendus depuis des lustres mais que, malheureusement, j'ai déjà oubliés ce soir. Une dame qui a des convictions qui ne sont pas forcément les miennes mais qui les justifie par un raisonnement intelligent. Bref, elle m'a fait grand effet et j'ai eu l'impression de ne pas trop lui déplaire. Je saurai sans doute dans quelques temps si la fin de ma phrase précédente est une litote ou n'en est pas une.

dimanche 8 avril 2012

Sur son 31

Ce soir, Calyste va se mettre sur son 31 pour deux rencontres nouvelles: Bocuse d'une part et "Belle Maman" d'autre part! Je ne sais lequel m'impressionnera le plus, chacun ayant une réputation bien établie...

Bouquet









Pâques 2012

Triduum, acte 3

Jan Dismas Zelanka. Et resurrexit. (Messe de la Résurrection)

samedi 7 avril 2012

Triduum. Repons du Samedi Saint

Tomas Luis de Victoria, O Vos omnes

Momentini

- Comme je le suis par la bêtise et la méchanceté, je suis toujours aussi surpris par la gentillesse gratuite de personnes inconnues. Le sourire est une bonne clé pour désamorcer l'agressivité. L'homme semble avoir toujours eu davantage peur de lui-même et de ses semblables que des pires monstres de ses rêves.

- Une jeune caissière de casino, jolie comme un cœur, qui, en me tendant le reçu de carte bleue, me souhaite une "bonne nuit" et rougit ensuite jusqu'aux oreilles en s'apercevant de ce qu'elle vient de dire. Touchante, cette roseur subite! Je l'aurais embrassée, la jeunette! Mais qu'aurait-elle pensé d'un tel geste venant d'un si vieux monsieur?

- Des ouvriers refont le toit de l'ancienne usine enclavée dans ma cour. Une moitié a déjà été transformée en loft. Je vais sans doute avoir de nouveaux voisins. Mais comment font-ils pour vivre sans fenêtres, sans possibilité de regarder à l'extérieur autrement que par le toit vitré? Moi, je me sentirais prisonnier; j'ai besoin de voir les gens, les arbres, la vie.

- Depuis hier, je suis en vacances. Encore! vont dire certains. Rien de prévu avec précision pour le moment. Mais ça ne saurait tardé!

- Bonbon Palace, que je lis en ce moment, tient ses promesses des premières pages. J'avance, j'avance dans ce gros pavé.

Coquillages et crustacés

Journée un peu comateuse, bien à l'image de la grisaille du temps. Le soleil, à l'heure qu'il est, fait seulement une timide percée avant d'aller se coucher. Hier soir, c'était réception chez moi: des amis et d'anciennes collègues que je n'ai guère l'occasion de revoir autrement. Couché fort tard après un repas à base de crustacés et de poissons, Vendredi saint oblige. Jean-Claude m'a donné un coup de main pour la cuisine, Frédéric, lui, a coopéré en cuisine. Et la paella préparée par Maria était très bonne, mais encore une fois beaucoup trop copieuse. Ce matin, deux heures de vaisselle et de ménage. Le magnifique bouquet qui trône dans mon salon m'a aidé à me redonner du courage.

vendredi 6 avril 2012

Triduum, acte 2

Jean-Sébastien Bach, Passion selon Saint Matthieu.

Ensemble

Quel drôle de mot, par sa polysémie, que celui-ci: ensemble.

On pense en premier lieu à ce petit ensemble, printanier ou pas, qui irait si bien à Madame et qu'elle rêve d'acquérir parce qu'elle n'a plus rien à se mettre et que celui de l'an dernier est, décidément, passé de mode.

Il y a ensuite l'ensemble, polyphonique, vocal ou de musique de chambre, que l'on va écouter dans une salle où ces messieurs et ces dames sont décidément de moins en moins bien habillés. Mais qu'importe: l'essentiel est dans l'oreille et dans ce qu'on emporte en rentrant chez soi.

Et puis l'adverbe, que j'aime plus que les deux autres. Un mot simple, qui ouvre sur la vie, sur une vie ouverte, avec tout un substrat de tendresse, de plaisir et de connivence. Pas le faux ensemble des affiches électoralistes, celui qui appelle au rassemblement pour pouvoir mieux se déchirer ensuite. L'ensemble de tous les jours, celui de ces deux vieillards que j'ai vus tout à l'heure, chenus l'un et l'autre, la femme soutenant l'homme dans son pas incertain, un ensemble d'années, de peines, de joies, de concessions et d'unissons, l'ensemble de la mort peut-être aussi, dont le plus bel exemple nous est donné dans l'Antiquité, par Philémon et Baucis.

Et qu'on est loin, là, de cet autre mot, pourtant son cousin: une assemblée.

jeudi 5 avril 2012

Triduum, acte 1

Une seule heure de cours ce matin. Ensuite, ce fut la descente jusqu'à la Cathédrale , via la montée du Gourguillon, pour la messe du Jeudi Saint. Tous les établissements scolaires de notre tutelle étaient conviés ce jour à célébrer le premier acte du triduum pascal, la Cène, dernier repas du Christ en compagnie de ses apôtres. Et j'y suis allé, plutôt que surveiller les élèves restant en étude.

Un millier d'enfants environ participaient à cette célébration. Je ne regrette pas d'avoir vu ça avant de quitter la vie active. Nous n'attendions pas tant de monde et cette affluence m'a ému, plus que je ne l'aurais cru. Des élèves de tous âges du primaire à la terminale se sont réunis dans la grande nef centrale, ainsi que nombre de professeurs, catéchistes et quelques parents. Nous n'avons pas souvent l'occasion de nous retrouver ainsi, enseignants et enseignés de toutes les écoles.

La messe fut simple mais prenante. Chaque établissement avait participé à la réussite de l'ensemble et, même si, à mon avis le lavement des pieds autrement que symbolique ne s'imposait pas, rien dans le déroulement de la cérémonie ne m'a agacé, sauf bien entendu le geste inutile et convenu de serrer la main de son voisin en signe de paix (mais cette nouvelle pratique m'a toujours irrité). Et, comme d'habitude, la prière du Notre Père m'a profondément bouleversé par sa simplicité et sa profondeur.

mercredi 4 avril 2012

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (94)

Maurice Ravel, Pavane pour une infante défunte. Samson François.
(Un petit clin d'œil à P.P.)

Pages marquantes (35)

Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace. Macondo était alors un village d'une vingtaine de maisons en glaise et en roseaux, construites au bord d'une rivière dont les eaux diaphanes roulaient sur un lit de pierres polies, blanches, énormes comme des œufs préhistoriques. Le monde était si récent que beaucoup de choses n'avaient pas encore de nom pour les mentionner, il fallait les montrer du doigt. Tous les ans, au mois de mars, une famille de gitans déguenillés plantait sa tente près du village et, dans un grand tintamarre de fifres et de tambourins, faisait part des nouvelles inventions. Ils commencèrent par apporter l'aimant. Un gros gitan à la barbe broussailleuse et aux mains de moineau, qui répondait au nom de Melquiades, fit en public une truculente démonstration de ce que lui-même appelait la huitième merveille des savants alchimistes de Macédoine. Il passa de maison en maison, traînant après lui deux lingots de métal, et tout le monde fut saisi de terreur à voir les chaudrons, les poêles, les tenailles et les chaufferettes tomber tout seuls de la place où ils étaient, le bois craquer à cause des clous et des vis qui essayaient désespérément de s'en arracher, et même les objets perdus depuis longtemps apparaissaient là où on les avait le plus cherchés, et se traînaient en débandade turbulente derrière les fers magiques de Melquiades. "Les choses ont une vie bien à elles, clamait le gitan avec un accent guttural ; il faut réveiller leur âme, toute la question est là." José Arcadio Buendia, dont l'imagination audacieuse allait toujours plus loin que le génie même de la Nature, quand ce n'était pas plus loin que les miracles et la magie, pensa qu'il était possible de se servir de cette invention inutile pour extraire l'or des entrailles de la terre. Melquiades, qui était un homme honnête, le mit en garde : "Ca ne sert pas à ça." Mais José Arcadio Buendia, en ce temps-là, ne croyait pas à l'honnêteté des gitans, et il troqua son mulet et un troupeau de chèvres contre les deux lingots aimantés. Ursula Iguaran, sa femme, qui comptait sur ces animaux pour agrandir le patrimoine domestique en régression, ne parvint pas à l'en dissuader. "Très vite on aura plus d'or qu'il n'en faut pour paver toute la maison", rétorqua son mari. Pendant plusieurs mois, il s'obstina à vouloir démontrer le bien-fondé de ses prévisions. Il fouilla la région pied à pied, sans oublier le fond de la rivière, traînant les deux lingots de fer et récitant à haute voix les formules qu'avait employées Melquiades. La seule chose qu'il réussit à déterrer, ce fut une armure du XVè siècle dont tous les éléments étaient soudés par une carapace de rouille et qui sonnait le creux comme une énorme calebasse pleine de cailloux. Quand José Arcadio Buendia et les quatre hommes de son expédition parvinrent à désarticuler l'armure, ils trouvèrent à l'intérieur un squelette calcifié qui portait à son cou un médaillon en cuivre contenant une mèche de cheveux de femme."
Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude.

Question fondamentale

J'ai envie de tout. De travailler, de me reposer, d'écrire, de lire, d'écouter de la musique, de décorer mon appartement, de parler, de me taire, de prendre des photos, de regarder les gens, de leur parler, de manger, de boire, de partager de la tendresse, de disserter sur tel ou tel sujet, de faire de la cuisine, de téléphoner aux amis, de laver ma voiture, de m'occuper de mes plantes, d'en planter d'autres, de me souvenir, d'avancer, toujours. Je suis incapable de tenir en place très longtemps. Tout m'intéresse. Mais où trouver le temps? Aurais-je toujours été, sous un aspect placide, un hyperactif qui s'ignore? La vie est trop courte et le soir arrive trop vite.

mardi 3 avril 2012

Berceau pour bébé fakir







Puces du canal, Villeurbanne.

Momentini

- Rendez-vous reporté chez le notaire à Saint-Étienne. La mairie de mon village fait obstruction sur un point de détail pour l'achat d'un petit bout de terrain de ma grand-mère. Et l'on me prévient la veille!

- La pluie nous a épargnés cet après-midi pour la visite annuelle du Musée gallo-romain. J'ai trouvé les élèves peu intéressés. Sans doute parce que moi-même, je le suis de moins en moins. Dois veiller à ne pas tourner la page trop vite.

- Les poubelles sont en voie de ramassage à Lyon. De belles traces tout de même sur les trottoirs et dans les caniveaux. Sans doute encore pas mal de temps pour un retour à la moyenne.

-Pas un seul bourgeon à ma glycine cette année. Un gros et vieux lierre n'a pas franchement bonne mine non plus. L'hiver leur aurait-il été fatal?

- Commencé un gros bouquin donné par le libraire pour l'achat de deux autres: Bonbon Palace d'Elif Shafak. Quelqu'un connaît? Lu deux pages hier soir. Très bien écrites. Heureuse surprise. Comme disait Letizia Ramolino: pourvou qué ça doure!

Quitter son nid

La mère d'Yvon n'est plus chez elle. Cette femme admirable qui avait trouvé les mots pour tenter de me consoler, moi, de la mort de son fils, a quitté ce tout petit appartement où je l'ai toujours connue. Ce tout petit chez soi de deux pièces et la cuisine où, à l'époque, ils s'entassaient, les sept enfants et les parents. Le père était alcoolique et les gosses devaient intervenir souvent et s'interposer pour éviter qu'il ne cogne la mère. Une fois veuve, elle est restée là, toujours à la même place à table, à faire des mots croisés et à m'accueillir avec un grand sourire lorsque, de plus en plus rarement, je lui rendais visite.

La dernière fois que je lui ai téléphoné, il y a quelques mois, le numéro n'était plus attribué. Personne ne m'avait prévenu du changement. C'est ma cousine, ce soir, qui m'a appris la nouvelle: elle vit maintenant dans une maison de retraite, au bord de la Loire, à Andrézieux. Elle y a sans doute trouvé le confort et le calme auxquels elle avait bien droit. Pourtant, exilée dans la plaine du Forez! La plaine: quand nous disons cela, à Saint-Étienne, nous le faisons toujours avec les lèvres de qui parlerait de l'étranger. Comment peut-on vivre dans un pays plat? Et puis, ces gens qui ne sont pas environnés de crassiers, nous ont toujours semblé bien riches, et donc suspects.

Sans doute l'a-t-on installée là-bas par commodité, pour qu'elle soit plus près de l'un de ses enfants. Mais comment le vit-elle après avoir quitté ce qui fut toute sa vie le cadre de ses joies et surtout de toutes ses peines. Je ne sais pas de quelle maison de retraite il s'agit mais je vais tout faire pour la trouver. Alors j'appellerai ma vieille Clotilde avant qu'elle ne parte pour un peu plus loin.

lundi 2 avril 2012

Je hais les enfants







Puces du Canal, Villeurbanne

Pide et l'alphabet

Le dernier billet de Didier M. m'a fait me remémorer une histoire que Pierre se plaisait à raconter. Haut-savoyard de naissance, il avait connu un vieux paysan un peu simple, vieux garçon et têtu comme une mule. On l'appelait Pide. Ce n'était pas son vrai nom mais, dans les coins perdus des Alpes, on aime affubler les gens d'un surnom qui leur reste collé à la peau jusqu'à leur dernier jour. Ce Pide, enfant, avait eu une maîtresse d'école qui essaya tant bien que mal de lui apprendre à lire. Las, rien ne semblait rentrer dans cette tête obtuse.

Un jour, l'institutrice consciencieuse voulut le faire avancer un peu dans le chemin du savoir et lui enseigner coûte que coûte les voyelles. De sa belle écriture légèrement penchée, elle traça au tableau noir le plus bel "i" qu'onc on ne vit dans les écoles de la République.
- Allez, Pide, tu vas me dire ce que c'est que cette lettre.
L'enfant se tortilla sur sa chaise, essaya de faire diversion en écoutant dehors le chant des merles au soleil, se rentra un doigt dans une narine encombrée mais rien n'y fit. L'autorité ne lâcha pas. Alors il fallut bien se résoudre à obtempérer. Pide, de sa voix la plus claire, lança le plus bel "u" que jamais écho ne fit résonner dans les vallées profondes. Et tout content de lui, il allait retourner à ses occupations habituelles, une rêverie aussi profonde que stérile, lorsque la dame, légèrement courroucée, le reprit en main.
- Mais voyons, Pide, ce n'est pas un "u". Réfléchis un peu. Qu'est-ce que cela peut bien être? Je vais t'aider: il y en a un dans ton nom.
Mais il en fallait plus pour faire revenir la tête de lard de sa première impression. Il regarda l'institutrice droit dans les yeux et, bravache, lui affirma de toute la force de sa conviction:
- Mé dè qu'y est 'u"! (Moi, je dis que c'est "u"!)
L'affaire n'alla pas plus loin et Pide ne sut jamais ni lire ni écrire. Allez prouver à un enfant qu'il se trompe! Je suppose, quant à moi, que, comme tout bon paysan savoyard, il n'eut jamais aucun problème pour apprendre à compter...

Notre Agent à la Havane

En voilà un livre sympa! Je parle de Notre Agent à la Havane de Graham Greene, le Greene du Troisième Homme et du Fond du problème, lu, il me semble, il y a bien longtemps. Une délicieuse histoire de faux agent de renseignements à Cuba au service des britanniques. C'est drôle avec légèreté, c'est cynique avec classe et c'est totalement amoral! J'adore!
(Notre Agent à la Havane, Graham Greene. Laffont. Trad. de Marcelle Sibon)

dimanche 1 avril 2012

Confidence







Musée Saint-Pierre, Lyon 1er

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (93)

Carl Maria von Weber, Ouverture d'Oberon.

Il faut que j'y pense

L'annonce d'une retraite éventuellement plus proche que prévu me remplit de joie et me démotive en même temps. J'ai beaucoup de mal, ce soir, après un dimanche bien rempli, à me faire à l'idée que, demain matin, il faudra se lever à six heures et embrayer sur une journée de cours. Il me semble que j'ai des milliers de choses plus intéressantes à faire: finir l'aménagement de mon appartement, flâner dans Lyon ensoleillé, appareil photos en main, donner des coups de fils aux uns et aux autres, y compris à ceux qui ne m'appellent plus depuis longtemps, lire, écouter de la musique...

Je sais aussi que cette cessation d'activité, il faut que je la prépare, que je me fasse à l'idée de ne plus transmettre, de ne plus être "utile": mes élèves me manqueront, c'est sûr, à un moment ou à un autre, et j'aurai du mal, les jours de rentrée des classes, à me dire: "Tu n'y vas pas!". J'aurai soixante ans cette fin d'année, et je ne veux pas entrer dans la catégorie des gens qui se laissent glisser parce qu'ils ne travaillent plus. Une amie me conseillait de donner ensuite de mon temps pour des soutiens scolaires ou pour adultes. Je suis bien sûr de ne pas en vouloir, de ça. Je chercherai plutôt du côté du bénévolat pour des œuvres caritatives, si possible éloigné de mon activité actuelle. Ou alors quelque chose autour des livres. Il faut que j'y pense.