lundi 31 août 2009

Pari tenu

Voilà: dernière ligne droite déjà bien entamée. On peut même dire qu'on touche au but et qu'il faut maintenant regarder les vacances à l'horizon des chrysanthèmes de novembre, à moins que cette star de grippe mexicaine ne vienne vider les rangs plus tôt que prévu.

A midi, en pique-niquant avec J. à la tête d'Or, je lui ai dit que je comptais bien profiter de chacune des secondes de ce dernier après-midi de vraie liberté. Il me semble que j'ai tenu le pari. Parti de chez moi à 11h30, je n'y suis rentré qu'à 18h précises. J'avais dans l'idée de faire un grand tour pédestre soit en direction du Rhône et de la Feyssine, soit dans les rues du centre ville. Je n'ai pratiquement pas quitté le parc, tout au plus l'ai-je longé à l'extérieur des grilles du côté de la Cité Internationale.

Quid de tout ce temps dehors? Marche, photos et rencontres. Trois pour être précis. D'abord un grand mec qui a tenu à m'expliquer qu'il n'était pas homosexuel mais qu'il tenait comme un "challenge" de se masturber devant un autre homme. "Ce n'est pas de l'attirance, uniquement une histoire d'adrénaline." Bien, mon bonhomme mais encore? En fait, passée la première pensée un peu réductrice sur son compte qui n'avait pas manqué de germer dans mon esprit, je finis par m'avouer que ce type n'était pas aussi cinglé qu'il en avait l'air au premier abord, voire même que sa conversation pouvait être intéressante. Une heure donc, assis sur un banc. Après quoi il était grandement temps d'aller jeter un œil sur l'expo photos de l'Orangerie pour laquelle j'avais attendu l'ouverture des portes. Je n'en dirais rien, simplement qu'il y a vraiment à boire et à manger.

Je suis sorti du parc par la porte de l'Amphithéâtre: il y a par là toujours quelque angle intéressant ou lumière favorable pour tenter la photo du siècle. En bas, près du bassin, je me suis mis à photographier un banc de poissons rouges. Pas évident: ça bouche tout le temps et il y a les reflets de l'eau. Je n'ai pas entendu arriver l'homme qui m'a adressé la parole. Il voulait me montrer un poisson plus gros que les autres, certain que celui-ci serait bien plus intéressant pour lui tirer le portrait. L'homme était un vieillard maghrébin, seul dans ce coin perdu où je n'ai jamais vu grand monde. Il devait en savourer le calme et la fraicheur agréable sous l'ombre de la salle de spectacle. Mais quelle immense impression de solitude! Il ne me regardait pas, fixant seulement les poissons en dessous de nous, et parfois m'adressait ce qui devait être quelques mots mais qu'il me fallait décrypter tant il semblait avoir perdu l'habitude de la parole. Alors, très ému mais ne voulant pas le montrer, je me suis accoudé à côté de lui à la balustrade et en silence nous avons ensemble regardé les poissons. Parfois, sans plus parler du tout, il me désignait simplement du doigt ceux qui lui paraissaient dignes d'intérêt. Quand je l'ai quitté, je l'ai vu, de loin, toujours seul, frapper avec un branchage la bouche d'une poubelle, sans doute pour en chasser les guêpes.

A la Cité Internationale, autre ambiance, autre fréquentation: les employés y sont tous jeunes, dynamiques, bronzés et nonchalamment affairés. C'est du moins l'impression que l'on a en arrivant. L'un d'entre eux, pourtant, me voyant sortir mon appareil photos, m'a proposé de m'ouvrir la porte d'un immeuble de bureaux pour que je puisse en photographier les œuvres d'art exposées dans le hall.

En revenant vers le parc, j'ai aperçu, devant le Musée d'Art Contemporain, une œuvre assez gigantesque exposée sur une pelouse où je ne l'avais jamais vue. Toute de métal, elle reflétait parfaitement la lumière de cet après-midi finissant. Mais les étais de bois qui semblaient la maintenir d'un côté étaient-ils partie intégrante de l'oeuvre d'art ou bien l'installation n'était-elle pas terminée? J'optai pour la première hypothèse: l'artiste avait voulu rajouter la chaleur du bois à l'éclat du métal. Et en plus, elle émettait des sons! Venus de ses entrailles, mille bruits ressortaient à l'air libres et donnaient une coloration vivante à cette feuille froissée de journal économique anglais. Mais, en faisant le tour, je vis émerger du ventre du monstre, après ses outils jeter sur le sol par une ouverture de la carcasse, un jeune ouvrier qui m'expliqua bientôt de quoi il s'agissait: une oeuvre d'un artiste chinois dont je n'ai pas retenu le nom et que la municipalité de Lyon vient d'acquérir. Conversation très intéressante avec ce jeune homme attaché au musée et proche des œuvres qu'il manipule. Nous avons un instant parlé de l'exposition Keith Haring à la mise en place de laquelle il avait participé.

Le retour à pied jusqu'à ma voiture me sembla un peu long mais me laissa le temps de ranger dans une petite boîte de mon cerveau cet été 2009 que j'ai aimé, dont j'ai apprécié tous les instants, dont j'ai mis à profit toutes les occasions pour être bien. Et je suis bien.

Genèse (Non, Olivier, ne fuis pas tout de suite)

C'est étrange, l'écriture. Hier soir, je n'étais pas du tout parti pour rédiger un billet aussi long (il m'a tout de même fallu deux heures, corrections comprises) ni de cette teneur.

L'idée de disserter sur le chiffre sept m'est venue après un commentaire que j'avais laissé chez Olivier Autissier, à propos de sa présentation de Lisbonne comme une ville aux sept collines. J'ai écrit un petit texte opposant le système "septimal" et le système décimal mais l'inspiration a vite tourné court et je n'étais pas satisfait des quelques lignes que j'avais réussi tant bien que mal à pondre. Ce n'était pas drôle du tout (d'ailleurs ce n'était pas l'idée de départ) et ça ne risquait pas d'intéresser qui que ce soit. Et puis des textes sur le chiffre sept, Google en regorge, certains assez sérieux, d'autres totalement délirants. Pourquoi en imposer un supplémentaire, ajouter une banalité à d'autres banalités?

Alors que je m'apprêtais à effacer définitivement le mien et à tourner la page, le Serpent (ou peut-être Lilith, mon cher Christophe, quoique je la fréquente assez peu) m'a soufflé une petite plaisanterie. Et de fil en aiguille, j'y étais encore deux heures plus tard. Deux heures de travail mais deux heures de grand plaisir aussi car les idées venaient aisément et j'éprouvais une espèce de jouissance à défiler le texte. Il m'est même arrivé de rire moi-même à l'émergence d'une pirouette, à l'arrivée d'une idée sortie je me demandais bien d'où.

Ce n'est pas la première fois que cela m'arrive mais de façon aussi radical, je pense que si. Il est vrai que souvent je m'installe avec l'intention claire d'écrire sur tel ou tel sujet et qu'à l'arrivée, j'ai parlé de tout autre chose. Les méandres de la pensée et des associations d'idées. Mais ce qui est surprenant, c'est que la relecture demande très peu de corrections, comme si les doigts savaient de quoi il allait être question avant même le cerveau. Bien sûr, je n'ai qu'un cerveau (si, si) alors que j'ai dix doigts.... Euh! Une seconde, je compte.

dimanche 30 août 2009

Comment Dieu, qui lui n'a que sept doigts, créa l'homme à son image en lui en rajoutant trois.

Blanche-Neige et les sept nains, les sept Péchés Capitaux, les sept jours de la semaine, les sept degrés de la perfection, les sept Merveilles du monde, les sept couleurs de l'arc-en-ciel, les villes aux sept collines (Rome, Lisbonne, St-Étienne...), les sept portes de Thèbes, les sept Paroles du Christ en croix....

Dieu, au moment de la Création, n'avait que sept doigts alors? Probable: cinq à une main, deux à l'autre. Une main pour tenir fermement et au besoin faire bol ou gobelet, l'autre pour attraper les aliments en les pinçant. Ça fonctionne très bien, essayez ou regardez les chinois manger leur ration de riz avec leurs baguettes.

Bien sûr, comme on nous l'a appris, il a programmé l'homme à son image. Mais alors, d'où sortent les trois doigts supplémentaires? Et surtout, à quoi servent-ils? A mon avis, l'ordinateur ultra-puissant du Patriarche a eu un moment de faiblesse: au lieu d'exécuter cinq + deux, comme demandé, il a exécuté cinq x deux. Et l'homme s'est retrouvé avec dix doigts au lieu de sept.

Alors, avant d'éveiller Adam à la vie, avant d'insuffler une âme dans cette glaise encore humide, Dieu a réfléchi. Il fallait absolument trouver une utilité à ces trois doigts surnuméraires. Pour le plus petit de tous, il eut vite une idée de génie: il rajouta à l'homme encore malléable deux oreilles et deux trous de nez et inventa leurs sécrétions, plus le plaisir indicible que sa créature la plus accomplie éprouverait à se les nettoyer avec ce petit doigt-là. Et il l'appela auriculaire (naziculaire lui plaisait moins. De gustibus et coloribus non disputandum!)).

Le plus grand lui donna un peu de fil à retordre: il paraissait vraiment dadet, à dépasser ainsi les autres sans que cela serve à quoi que ce soit. Il le prit par l'orgueil: il en fit le chef de la main, pas le plus utile (celui-ci, c'est le pouce), mais le chef. Depuis il se croit tout permis et n'hésite pas, en cas de grande colère, alors que les autres restent repliés les uns sur les autres, à se dresser, tendu rageusement vers le ciel, en imprimant à la main , paume visible, un mouvement répétitif de bas en haut et de haut en bas qui ne plaît jamais à l'adversaire visé, en général conducteur de la voiture qui vient d'être doublée et qui se plaint de la queue de poisson. Et il l'appela majeur (râleur a failli lui être préféré).

Quant au dernier des trois, ni trop grand ni trop petit, (à peu près de la même taille, mais plus frêle, que celui qu'il avait déjà nommé index, parce qu'il voulait qu'il serve à montrer, mais sans savoir, le pauvre Vieux, à quoi les Églises, plus tard, allaient utiliser cette appellation), qu'en faire? C'est le sixième jour que Dieu créa Adam. Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi il lui fallut pour un seul produit autant de temps que pour l'ensemble des animaux, ou bien la terre et le ciel, ou l'ombre et la lumière, le soleil et la lune (sans tenir compte des étoiles) par exemple?

En fait, l'homme fut vite façonné. Dieu avait beaucoup travaillé les cinq premiers jours (essayez d'en faire autant en une semaine au bureau, vous m'en direz des nouvelles!) et commençait à sentir une grande fatigue. Oui, les dieux ne se fatiguent pas souvent, mais lorsqu'ils sont fatigués, c'est une fatigue divine, quelque chose dont nous, les humains, ne pouvons même pas avoir la moindre idée. D'ailleurs, si l'on regarde bien, l'homme garde visibles quelques traces de la fatigue de Dieu. Mais cela nous entraînerait trop loin.

Adam fut terminé en, disons, deux heures. Les vingt-deux autres heures du sixième jour, Dieu les consacra à trouver quoi faire de ces trois doigts qu'il n'avait pas prévus au départ: une demi-heure pour l'auriculaire, une heure et demie pour le majeur et vingt heures pour le dernier. Il avait beau chercher, fouiller sa cervelle divine en fourrageant dans sa barbe ou bien faire glisser ses sept doigts sur sa calvitie naissante, rien ne venait.

Ce fut le Serpent qui lui souffla la solution: ce doigt, c'était évident, était fait pour porter un anneau!
- Un anneau, mais un anneau de quoi? demanda Dieu que la proposition du serpent laissait perplexe.
- Nous allons bien trouver! murmura le Serpent qui se remit à réfléchir plus sobrement, lui qui ne pouvait rien se gratter du tout.

Quelques heures passèrent sans que ni Dieu ni Diable n'avancent d'un poil dans la résolution du problème. Il fallait maintenant se hâter, le soir commençait à tomber, bientôt il ferait nuit et surtout Adam était en train de sécher. Si l'on attendait trop, il ne serait plus possible de le reprendre. Il faudrait tout recommencer à zéro et ça, Dieu n'en voulait sous aucun prétexte: pas question de travailler le dimanche! Déjà il voyait le coup où il lui faudrait sacrifier son samedi soir, alors basta!

Encore une fois le serpent vint à son aide:
- J'ai bien une idée, mais elle demande encore un petit effort...
- Dis toujours, au point où l'on en est.
- Voilà, Ssssssssseigneur: avez-vous remarqué qu'au sein de votre si belle Création, tout ce qui est vivant marche par deux? Ainsi la chèvre et le bouc, le jars et l'oie, la poule et l'œuf, le yin et le yang, le chapeau et le melon, Lagarde et Michard, Roux et Combaluzier,etc,etc.
- Tiens, oui, maintenant que tu me le dis!
- Alors, celui-ci, dit-il en désignant Adam qu'on avait, en attendant, mis un peu à l'ombre et recouvert de linges mouillés pour le maintenir au frais, celui-ci doit aussi avoir son alter ego!
- Qu'entends-tu par "alter ego", lui demanda Dieu qui ne connaissait pas le latin.
- Son équivalent, son pendant, sa moitié d'orange!

Dieu comprenait de moins en moins. La fatigue, sans doute.
- Bref, finit par cracher le Serpent excédé de la lenteur des réactions du Vieillard Céleste et commençant à craindre que sa moitié à lui ne finisse par croire qu'il traînait au bistro, à celui-ci, il faudrait une femme.
- Une femme? Mais ça ressemble à quoi? Je n'en ai jamais vu! s'inquiéta Dieu qui, comme chacun sait a toujours été un père célibataire.
- Moi non plus, concéda le Serpent, mais ça ne doit pas être bien sorcier à inventer. Il n'y a qu'à partir du prototype et changer deux trois choses par ci par là, histoire de dire que ce n'est pas tout à fait la même chose.
- Mais je n'ai plus d'argile. Ah! que je suis malheureux! se lamenta Yahvé qui, sans le savoir, aurait pu, à ce moment précis, inventer Calimero.

Le serpent, pendant que Dieu se mouchait bruyamment dans un grand mouchoir de nuages jetable, souleva furtivement le linge humide qui recouvrait Adam et profita de ce que ce dernier ne pouvait se plaindre (bon, d'un autre côté, il n'éprouvait pas non plus de douleur) pour lui arracher du flanc une bonne poignée d'argile encore suffisamment malléable.

- En voici un peu, Dieu tout Bon tout Puissant! dit-il en se retournant. Avec votre talent, cela devrait suffire.

Il semble que Dieu soit très sensible aux flatteries d'où qu'elles viennent car aussitôt il se remit à l'ouvrage et bientôt sortit de ses mains celle à qui il fallut bien aussi trouver un nom, parce qu'on imagina tout de suite que de se faire apostropher tous les soirs par son mec avec ce simple mot pourtant si jolie de "Femme!", ça ne lui plairait pas forcément beaucoup, surtout si le mec en question était avachi au salon devant la télé, en train de regarder un match de foot en décapsulant sa sixième cannette de bière. Mais n'anticipons pas.

On trouva "Ève". C'était assez joli, à l'oreille, et surtout, ça allait bien avec Adam: Adam et Ève, ça sonnait pour durer. Dieu allait enfin pouvoir se laver les mains et quitter sa salopette bleue quand, soudain, il se souvint de quelque chose:
- Mais dis-moi, Serpent, je viens de créer la femme, comme tu me l'as demandé, très poliment d'ailleurs, mais le doigt?
- Le doigt? demanda le Serpent qui, lui aussi n'était plus tout jeune et avait des moments d'absence.
- Ben oui, le dernier doigt, celui dont on ne sait pas que faire! Tu m'as dit que tu avais une idée.

Le serpent avait bluffé, comme souvent et croyait s'en tirer comme ça. Mais là, Dieu avait son air des mauvais jours (oui, je sais, on n'était qu'au sixième, mais c'est comme ça que l'on s'exprimait, même à l'époque: c'est un séraphin qui me l'a dit, et les séraphins, on peut les croire!). Il avait tout intérêt à trouver une réponse et vite! Alors il dit n'importe quoi, la première chose qui lui passait par la tête. Il aurait pu dire politique étrangère, théosophie, barytonèse des oxytons, Stone et Charden.... Non, il lança un mot, un seul dans le silence de la nuit qui tombait, alors que les grands fauves allaient boire au fleuve endormi et que les agneaux se tenaient un peu plus loin, histoire de parer à toute éventualité: on ne s'entredévorait pas encore mais ça pouvait venir! Un mot donc, tout simple, tout bête, qui aurait pu disparaître dans l'oreille affaiblie du Souffle Primitif. Mais non, Dieu entendit et opina. Il venait d'inventer le mariage. Et comme il fallait bien un doigt pour mettre l'alliance....

Et il l'appela annulaire (sans commentaire!)

samedi 29 août 2009

Tandem

Elle était mal habillée. De loin, elle sentait le pauvre. Elle marchait à côté de sa mère, enfin je suppose que c'était sa mère, j'en suis sûr même aujourd'hui après le regard qu'elle m'a lancé. Elles n'étaient grandes ni l'une ni l'autre, plutôt du genre bas des fesses pour la mère, toute en rondeurs, alors que la fille profitait encore de la minceur de son âge. Combien pouvait-elle avoir? Entre une douzaine délurée et une quinzaine maigrichonne. Elles arrivaient face à moi, sur le trottoir devant l'Immaculée Conception. Nous allions bientôt nous croiser.

Quand je dis mal habillée, ce n'est pas une question de goût, c'est une question d'argent. Elle portait un haut coloré, d'un bleu qui se voulait jeune mais que plusieurs lavages avait effacé et terni, et un pantalon blanc dont l'étoffe trop légère laissait entrevoir par transparence le rose soutenu du slip ou du string. Je n'ai pas regardé mais je suppose qu'elle avait des tongs aux pieds.

C'est elle que j'ai remarquée la première, non parce qu'elle ressortait du couple mais parce que, justement, je ne m'attendais pas à voir ce genre de fille, adolescente en pleine ingratitude, en tandem avec sa mère, ou sa tante, avec, quoi qu'il en soit, une vieille et pas sa meilleure copine du moment. Elle marchait assez vite et de façon légère (peut-être, après tout, n'avait-elle pas de tongs aux pieds, plus sûrement de vieilles baskets que son pied grandi forçait un peu au bout).

Le personnage du duo, c'était la mère. Courtaude, je l'ai dit, et assez volumineuse, à tel point que sa jupe légère remontait sur le devant, raccourcie par la protubérance de son estomac proéminent. Le visage était ce qui choquait le plus. Elle était sans doute plus jeune que moi (quarante ans?) et paraissait quinze années de plus. Ses cheveux gardaient par endroit un reste de teinture datant d'une époque plus heureuse et pendaient de chaque côté de ses joues comme s'ils venaient d'être mouillés.

Elle ne regardait que vers le bas, un peu en avant de ses pieds qui avaient du mal à suivre le rythme imposé par la fille mais j'étais suffisamment loin pour voir encore les détails d'un visage effondré, une face ravagée par des années d'alcoolisme asséché ou pas. Elle n'était pas ivre à ce moment-là mais les séquelles de ses anciennes beuveries se lisaient encore sur ses joues et son front. Dans quel état étaient les yeux? Je ne saurais le dire, ne les ayant pas vus mais je me souviendrai toujours du regard que m'a lancé sa fille alors que nous nous croisions enfin.

Comment expliquer ce qui ne dure qu'une fraction de seconde? J'ai regardé sa mère et, presque en instantané, j'ai vu les yeux de la fille se fixer sur moi et changer totalement d'expression. La première impression fut celle justement d'une adolescente, à la fois rêveuse de l'ailleurs où elle pourrait être, un peu agacée de devoir marcher aux côtés de sa mère mais en même temps joyeuse de sentir la mécanique de son corps lui obéir parfaitement maintenant qu'elle en appréhendait toutes les subtilités.

La deuxième fut terrible. Avais-je alors, pour elle, le visage de quelqu'un d'horrifié par le spectacle de la ruine d'un être humain ou celui, tout aussi détestable, empreint d'une profonde pitié pour la loque que sa mère était devenue( mais je sais, moi, qu'il n'en est rien car ce n'est pas de la pitié que j'éprouve à ces moments-là mais de la fraternité, une forme d'amour)? Son expression changea du tout au tout. Ce n'était plus un être à peine sorti de l'enfance qui me faisait face mais une lionne, une tigresse, n'importe quelle femelle protégeant sa portée. Et cette fois-ci, c'est la fille qui protégeait la mère, qui, un instant sublime, se sentait du même sang, de la même lignée, et ressentait l'injure supposée faite à sa mère comme une gifle par elle reçue. Comme je l'ai aimée, cette fille, à peine entrevue sur un trottoir de la grande cité, cet animal fier qui, pour quelques secondes, avait recréé l'instinct.

Clin d'œil

Momentini

- Appris par hasard à la radio qu'un immigré clandestin attendant à Calais pour tenter de rejoindre l'Angleterre s'est noyé, il y a déjà quelque temps, dans un canal. Entraînement pour franchir la Manche? Bagarre qui a mal tourné? Suicide déguisé? Pas du tout: il voulait se laver. Mais aussi, on n'a pas idée! Se laver! Pour quoi faire? Vous saviez, vous? Moi, je n'avais entendu parler que du malaise de notre petit président. Pardon! du petit malaise de notre président.

- Demain, c'est moi qui m'y colle: invitation à manger, en bonne et due forme, pour Madame Mère et sa Fille (ma sœur, par voie de conséquence. Vous suivez?). La composition du menu a dû ne jamais perdre de vue deux impératifs majeurs: mes talents très limités en art culinaire et l'état des dents de ma mère qui ferait se suicider le dentiste le mieux intentionné. Alors du mou, en majorité. En entrée, melon puis (eh oui, dans la famille Calystee, sil n'y a pas entrée chaude et entrée froide, on n'a pas mangé!) tarte à la courgette muscadée (je sais d'avance qui finira la croûte). Truite en papillote accompagnée de haricots verts. Plateau de fromages (secs ou blancs), salade de fruits (arrosée d'un restant de gnôle de Bons-en-Chablais. La bouteille est presque vide...) et gâteau aux abricots (marque Casino: j'peux pas tout faire!) avec Chantilly ad libitum. Alors, qu'est-ce que vous en pensez?

- Achats de dernière minute (Quelques broutilles et la Chantilly. Non, là non plus, ce n'est pas moi qui la monte! Arrête de râler, Lancelot!). Le total faisait 4 Euros 17 centimes. Je propose au caissier, jeune homme charmant au demeurant, comme disait Tante Lucie qui s'y connaissait en jeunes hommes (enfin qui s'était formée sur ce chapitre après la mort d'Oncle Joseph, parce qu'avant... Mais je m'égare, non?), un billet de 10 Euros et une pièce de 20 centimes. Avez-vous déjà vu le visage de quelqu'un qui découvre le mystère de la formation de l'univers (ou l'état de ses dessous de pieds, le soir, après une journée urbaine en tongs)? Parcourir par l'esprit l'immensité des galaxies semble un jeu d'enfant à côté de la difficulté de ce calcul mental. Eh bien, il n'a pas voulu de ma pièce de 20 et a préféré me rendre une pleine brouette de monnaie, comme indiqué sur l'écran de sa caisse. Il faut bien que l'électronique serve à quelque chose! Mais que font les profs de maths ?

- A la relecture, je m'aperçois que je dois éprouver une tendresse particulière pour les parenthèses. Un peu trop, non? Mais bon, d'abord c'est moi qui écris et puis c'est comme en cours, devant les élèves, c'est là, dans les parenthèses, que je suis le meilleur, enfin bon, enfin je crois, enfin il me semble, un peu, hein...

vendredi 28 août 2009

La Cigale ou la Fourmi ?

Esprit critique était une émission de cet été sur France Inter qui, malheureusement, en avait programmé la toute dernière retransmission pour aujourd'hui. Faite de tas de petits bouts différents, sur l'art, sur la société, sur tout ce qui pouvait amorcer une discussion, elle m'a toujours beaucoup intéressé.

Quelqu'un (qui?) ce matin a réussi à capter durablement mon attention alors que je nageais encore entre deux eaux de sommeil. Et sur un thème pas banal: la fable de La Fontaine La Cigale et la Fourmi, en particulier ces vers célèbres:

La fourmi n'est pas préteuse:
C'est là son moindre défaut.

Selon celui qui parlait, ces deux vers peuvent s'interpréter de manière exactement opposée: soit le poète explique que la fourmi fait bien de ne pas être préteuse et qu'elle a tout à fait raison de ne pas compatir au sort de cette écervelée de cigale, soit au contraire, il constate l'égoïsme de la fourmi et nous en parle comme d'un défaut de cet insecte face à la même cigale. Dans ce dernier cas, l'animal antipathique serait la fourmi et celui que nous plaindrions la cigale. Dans l'autre cas, c'est la cigale qui tient le mauvais rôle.

Belle analyse de ce monsieur mais qui m'a laissé pantois. Il a en effet clairement laissé entendre que la première interprétation était quasi unanimement adoptée par les lecteurs de La Fontaine. Or moi, je n'y ai jamais pensé: l'animal qui avait toute ma sympathie a toujours été la cigale et je n'imaginais même pas qu'il puisse en être autrement. (J'ai eu le même type de renversement d'interprétation avec Cujo, de Stephen King, où, au lieu de m'identifier à l'américaine moyenne enfermée en plein soleil avec son bébé dans une voiture tout près de laquelle grondait un chien enragé devenu fou, je plaignais du fond du cœur ce pauvre chien pour moi innocent.)

Et il semblerait, toujours d'après ce monsieur, que telle était bien la position de La Fontaine qui, en écrivant cette première histoire du Livre Premier de ses Fables, aurait ainsi légué à la postérité une sorte de manifeste du poète, ou plus généralement de l'artiste, à protéger et encourager.

Moi, de toute façon, ce ne sont jamais les plus forts en thème qui m'intéressent! (Que ceux dont je lis régulièrement les écrits sur la blogosphère ne s'en sentent pas offensés!)

Des mots pour rêver

- J'ai parlé du Potomac à Nicolas, au restaurant l'autre soir. Il a été le premier à rapprocher ce mot indien du grec potamos, le fleuve (d'où hippopotame et Mésopotamie). Comment ai-je fait pour ne jamais y penser? Ainsi donc les indiens d'Amérique du nord seraient-ils les descendants des vainqueurs de Troie? On peut imaginer un des bateaux de la flotte d'Ulysse franchissant contre son gré, et sous la colère de Poséidon, les colonnes d'Hercule, les marins errant de longs jours sur un océan inconnu et parvenant épuisés sur une côte du New Jersey! Totalement absurde mais on peut rêver.

- Nicolas m'a aussi appris un mot indien que je vais retenir, je crois: Tatanka, qui signifie Bisou. J'aime. C'est un mot doux et joyeux à la fois. Un mot pour rêver.

- Découvert l'autre jour, dans la salle d'attente de ma dentiste, sur un vieux numéro du magazine Géo consacré entre autres à l'astrologie: les Celtes ont établi la leur en se basant sur les arbres, avec quatre essences cardinales. Les périodes attribuées à chaque arbre sont beaucoup plus courtes que celles de notre zodiaque (quelques jours, tout au plus). Pour ma part, je suis if. Ça me plaît assez, non pas le côté garniture de cimetière mais, si l'on pense à l'anglais, toutes les portes qui s'ouvrent avec une si petite clé: "si....". L'if du rêve, l'invitation au voyage.

jeudi 27 août 2009

Couscous royal

Hier, soirée avec Nicolas. Il est arrivé tout bronzé de ses vacances, les cheveux un peu plus longs que d'habitude, la barbe non taillée, l'air reposé et heureux. Bises sous le cheval puis recherche d'un restaurant.

Lors de ma virée de l'après-midi, j'en avais sélectionné quelques-uns dans le deuxième arrondissement mais c'est un autre que nous avons finalement choisi: un restaurant tunisien, rue des remparts d'Ainay. J'avais remarqué la maison il y a quelques mois en me baladant avec mon appareil photos. Il faut dire qu'elle peut difficilement passer inaperçue si l'on prête un minimum d'attention à ce qui nous entoure: c'est la seule bâtisse du XVII° dans le secteur. La patronne nous a précisé qu'elle datait (pas elle, la maison!) de 1640 et nous a montré à l'étage les marques des artisans sur les grosses poutres de la charpente.

Couscous royal pour tous les deux, copieux et délicieux, avec différentes sortes de viandes. J'aime ces moments d'amitié en tête à tête avec Nicolas. Nous avons beaucoup parlé, sans trop brusquer nos timidités, ou nos pudeurs, respectives: d'abord des vacances (nous n'étions pas très loin l'un de l'autre dans les Alpes), de nos lectures ensuite et je suis heureux qu'il ait aimé Malevil, de Robert Merle, que je lui avais conseillé, de nous enfin, longuement, en sirotant un thé à la menthe.

Je ne suis pas surpris mais ému de cette intimité grandissante. Comme il le dit lui-même, nous avons des histoires assez différentes et pourtant nous en arrivons à nous découvrir de nombreux points communs. Nous avons encore abordé le sujet, délicat pour lui comme pour moi, de la paternité, celui de notre positionnement face aux autres, à ce qu'ils pensent, à ce que nous pensons qu'ils pensent. J'aime cette façon progressive d'aborder les choses importantes à chacune de nos rencontres, comme si, auparavant, nous avions chaque fois besoin de nous réapprivoiser.

J'avais l'intention hier de faire un pas de plus et de lui préciser mon homosexualité. Je pensais qu'il avait deviné, surtout depuis que j'avais honnêtement évoqué mes trente-trois ans de vie commune avec Pierre en des termes qui excluaient la possibilité que nous n'ayons été que de simples colocataires. Il m'a devancé dans cette intention et cela s'est fait de façon très naturelle. Il avait effectivement compris la sorte d'amour qui nous unissait, Pierre et moi. Nous avons parlé un peu de sexualité et puis de tout autre chose, naturellement encore.

En rentrant, je lui ai montré la plaque de la rue d'Auvergne précisant que Charles Baudelaire avait vécu dans cette maison entre sa onzième et sa quinzième année. Il m'a déposé devant chez moi. Nous nous reverrons mardi, à la prérentrée, et au cours de bien d'autres soirées, je l'espère.

Comment attirer les femmes?

Comment attirer les femmes? En se mettant à genoux sans doute, comme à la bonne vieille époque de l'Amour Courtois. Mais le chevalier y était attentionné et avait, quoi qu'on en dise, une petite idée en tête en ramassant le mouchoir aux couleurs de sa belle.

Moi, rien de tout cela: la Belle de Serbie s'est approchée de moi sans que je l'aie remarquée. J'étais certes à genoux mais devant des fleurs, celles qui ne s'ouvrent qu'à la chute du jour. Et les mêmes causes ont produit les même effets hier après-midi.

Après ma visite chez le dentiste, j'avais besoin de me faire une petite douceur, comme un enfant à qui l'on a promis un présent s'il se montrait sage et raisonnable. J'avais été très sage, je méritais de me faire un cadeau. Place Ampère, j'ai l'habitude d'aller faire un tour chez un revendeur de CD et DVD bon marché et je me suis retrouvé bien vite à genoux devant le rayonnage de DVD étrangers (donc ni français ni anglo-saxons, les anglo-saxons n'étant visiblement plus considérés en France comme des étrangers!), à la recherche d'un improbable vieux film japonais. J'avais vaguement vu sur ma droite une forme humaine qui, elle aussi, s'intéressait à ce même rayonnage. Forme humaine car je n'aurais pu dire à ce moment-là s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme;

A la voix qui s'adressa à moi, je reconnus une femme. En relevant la tête, je la découvris en contre-plongée, la silhouette un peu tassée par l'angle de vue et le ventre rendu plus proéminent qu'il ne l'était en réalité.

- Vous devriez prendre celui-ci, je vous le conseille!

Elle me tendait un film du rayon au-dessus, celui des productions italiennes. Devant son grand sourire et sa gentillesse évidente, je me relevai, la replaçant ainsi dans une perspective plus humaine, et jetai un oeil sur le DVD: Respiro, de Emanuele Crialese, avec Valeria Golino. Comme je ne connaissais pas, elle m'en expliqua la trame, l'émancipation d'une femme sur l'île de Lampedusa, au sud de la péninsule.

Cédant à ma curiosité naturelle, je lui demandai si elle était elle-même italienne et j'appris bien vite ses origines siciliennes " à quarante kilomètres de Palerme, dans les terres, un petit village", et son arrivée en France à l'âge de six ans. Ainsi, elle ne parlait guère l'italien académique, n'ayant pas eu le temps de l'apprendre à l'école, et tâchait de remédier à cette lacune par l'achat de films en version originale.

Je lui dis avoir moi-même appris l'italien à l'âge adulte, à la société Dante Alighieri qui organisait également chaque année, en plus des cours, des conférences et des voyages, un ciné club très intéressant et peu onéreux. La glace était rompue (si glace il y avait jamais eue) et nous passâmes peut-être une heure à bavarder de tout de rien sur l'italie, des villes, de la gastronomie, des chanteuses des années soixante dont elle fut surprise que j'en connaisse certaines, comme Mina, Milva ou Ornella Vanoni.

Lorsque je la quittai, j'avais dans une petite pochette plastique mes deux achats du moment: " Milva canta Thanos Mikrotsikos", choisi avant notre rencontre, et "Marta Topferova, Flor Nocturna", qu'elle m'avait déniché dans un bac en m'en disant le plus grand bien. Je suis en train de l'écouter en écrivant ce billet: elle n'avait pas tort quand elle me vantait la voix grave de cette argentine et sa musique inspirée du fado portugais. Le film, je l'ai laissé dans le bac, je ne sais pas pourquoi, et maintenant je regrette presque de ne pas l'avoir pris.

mercredi 26 août 2009

Reprise

Des coups de klaxon rageurs contre un camion mal garé, des marteaux-piqueurs qui défoncent un trottoir venant d'être refait, des uniformes verbalisant à tour de bras, un déménagement de plus, des commerces qui lèvent enfin leurs grilles, des médecins de retour de vacances, des stationnements de plus en plus difficiles, la météo bien triste, les premiers costumes-cravates. Tout frémit, tout bruit. La vraie vie, quoi!

Mais qu'il est agréable d'avoir l'impression d'être le seul encore en vacances...

mardi 25 août 2009

La belle jardinière

Je l'ai revue! Belle de Serbie, oui. Enfin je crois, j'en suis presque sûr.

Ce matin en ouvrant mes volets, un peu tard dans la matinée. Il faisait gris et je voulais un peu plus de lumière dans mon appartement. Je ne risquais plus de faire entrer la chaleur. Je me suis mis un instant à la fenêtre, torse nu, pour profiter de la fraîcheur retrouvée, d'un peu de brise sous mes aisselles encore moites de la nuit.

J'étais en train d'apprécier le moment quand, en regardant sur le trottoir opposé, presque en face de mes fenêtres, à l'endroit où il y a quelques années un entrepôt a laissé la place à un immeuble de bureaux dix fois plus haut, j'ai remarqué dans le groupe de fumeurs réunis devant la porte une silhouette que j'ai immédiatement reconnue: la même taille élancée et massive à la fois, la même tête ronde encadrée de cheveux clairs, la même jupe légère d'été. Seule la marinière avait été remplacée par un haut blanc sans manches emprisonnant sa lourde poitrine.

J'ai cru un moment rêver. Mais non: plus je regardais, plus j'étais certain que c'était elle. Mais que faire? Je ne pouvais l'appeler de ma fenêtre: je n'étais pas dans une tenue décente pour apostropher une dame dans la rue et, de toute façon, l'éloignement, même léger, et le trop grand bruit des moteurs de voitures l'aurait empêchée de m'entendre. M'habiller rapidement et descendre mes étages pour la rejoindre? Et de quoi aurais-je eu l'air? Et elle vis-à-vis de ses collègues? Et lui dire quoi? "Rappelez-vous, hier après-midi, les belles de nuit, la plante grasse!"

Et si ce n'était pas elle! Je passerais pour un vieux libidineux à la recherche de n'importe quel prétexte pour aborder une femme. Je n'ai donc pas bougé, je suis resté un long moment accoudé au rebord de ma fenêtre, à la regarder fumer sa cigarette et la jeter avant qu'elle ne soit achevée pour entrer dans l'immeuble avec un homme. J'avais lu ici les commentaires de Lancelot et de Karregwenn m'entraînant dans les clairs-obscurs du fantastique, auprès de ces dames blanches, de ces fées lointaines, petites filles des nymphes de l'Antiquité, qui apparaissent dans les jardins, à l'orée des forêts ou tout près des sources jaillissantes. Avais-je affaire à l'une d'entre elles, suffisamment téméraire pour s'aventurer jusqu'au cœur de la ville?

Les belles de nuit rouges qui ont poussées toutes seules dans le petit carré de terre de ma cour, je croyais que c'était le vent qui avait entraîné les graines de mon balcon. Mais n'était-ce pas plutôt elle qui, la nuit, quand tous les citadins dormaient, était venue les planter sous mes fenêtres? J'ai regardé dans la rue plusieurs fois dans la journée, espérant la voir réapparaître. Elle n'est pas revenue. Peut-être a-t-elle d'autres jardins à faire fleurir à l'autre bout du monde, dans la rue à côté, en terre aride, en terre arable, partout où elle pourra glisser quelques graines dans la main d'un homme encore un peu enfant?

Shampoing du matin, chagrin

Je suis sûr que c'est fait exprès. Pour que l'on consomme plus de produit. Et ça m'énerve, chaque fois que je me fais avoir.

On entre sous la douche avec les meilleures intentions du monde, on se dit qu'après tout la vie n'est pas si laide, qu'elle offre même des moments d'une rare intensité, même si pas nombreux si l'on n'y met pas un peu du sien, que, une fois le premier pas franchi, se lever de bon matin n'a tout de même rien d'une torture médiévale, qu'aujourd'hui on fera un effort pour être agréable avec tout le monde, élèves comme collègues, sauf elle peut-être, mais non, allez, même elle, on est dans un grand jour, que finalement la pluie, c'est beau aussi et puis c'est bon pour la nature, en principe.

On commence à se demander quelle chemise on va mettre aujourd'hui (eh oui, passées les vacances, les T-shirt, c'est fini!), la petite bleue pâle sans manches n'est pas mal mais il y a le minuscule trou de cigarette qu'y a laissé Pierre et que, bien entendu, quelqu'un, obligatoirement, te fera remarquer dans la journée. Comme si tu ne le savais pas, depuis le temps! La rose est jolie aussi, mais la transpiration sous les bras y apparaît trop évidente. Alors la blanche et jaune à petits carreaux, mais est-ce qu'elle n'est pas dans la corbeille à linge sale? Sinon, ce sera un polo, uni, pas ceux à rayures façon maillots de rugby qui ne t'avantagent pas depuis que tu as pris un peu d'embonpoint. Un polo par dessus le pantalon, ça peut aller tout de même. De toute façon, quand on voit comment les élèves eux-mêmes sont habillés...

Tout à ces pensées, que l'on essaie toujours de tirer vers le positif, le constructif, l'optimitif, on empoigne d'un geste machinal le flacon de shampoing usages fréquents antipelliculaire et, après s'être bien mouillé le cuir chevelu, comme précisé sur ledit flacon (existe-t-il vraiment des demeurés pour procéder à sec?), on en ouvre l'opercule pour recueillir dans sa main un peu du liquide glaireux mais à l'odeur agréable (de quoi, déjà? Il ne se souvient plus pour lequel il a finalement opté au moment de l'achat et ne peut vérifier, les yeux déjà fermés pour éviter les éclaboussures) avec lequel on doit se masser les cheveux puis qu'il faut laisser agir quelques minutes (en fait le temps de laver les autres parties du corps) avant de rincer.

Et c'est là que se produit le petit fait qui flanque tout par terre, la vague inattendue qui vient démolir le presque coquet château de sable patiemment monté depuis le réveil et qu'il faudra tâcher de rebâtir avant d'arriver au travail, sinon la journée risque d'être fichue! Alors que l'on rêve déjà d'une autre main que la sienne pour malaxer cette tignasse ou ce paillasson, pour caresser cette nuque, pour s'égarer peut-être ailleurs, enivrée par la vapeur d'eau chaude qui embrume la cabine de douche, voilà que la noisette annoncée se transforme en demi-flacon déversé en une seconde sur votre main par un trou beaucoup trop grand pour même un kilo de noix de Grenoble, les plus belles, qu'en une seule prise, vous avez quasiment vidé le flacon et que vous pourriez avec ce qui déborde de votre paume laver la tête de tous les élèves pouilleux du collège en temps de contamination (si, si, ça existe encore!) pendant un trimestre entier.

Vous vous étiez déjà fait avoir l'avant-veille, au dernier lavage de cheveux et le pire c'est lorsque, quelques secondes plus tard, la même mésaventure vous arrive cette fois-ci avec le flacon de gel douche que, pour le bien-être de votre peau fragile, vous achetez en pharmacie à plus de quinze euros les 750 millilitres. Adieu belles pensées, adieu généreuses intentions, adieu polo seyant et sourire éternel! Il ne reste plus qu'à vous rincer, rincer et rerincer cent fois, puis, lorsque c'est enfin terminé, à débarrasser le bac à douche de toute sa mousse, à le frotter avec une éponge pour ne pas risquer de glisser le lendemain sur les restes de ce gaspillage. Et à sortir de la cabine en vous apercevant que vous êtes presque en retard alors que vous vous étiez levé une demi-heure plus tôt que nécessaire pour ne pas avoir à stresser inutilement.

Et bien sûr, au boulot, une collègue bienveillante (oui, oui, celle-là même que vous aviez décidé, au prix d'efforts surhumains, de ne pas étrangler dans la matinée, à qui vous aviez consenti un délai supplémentaire, le temps pour elle de savourer son dernier café à 40 centimes d'euro en se plaignant de tout sauf d'elle-même)) vous fera "gentiment" remarquer, avec un large sourire découvert dans les Feux de l'Amour et copié mais sans qu'elle ait pu totalement en effacer les origines montluçonnesques, qu'il vous reste de la mousse au creux de l'oreille gauche, non de l'autre côté la gauche! Grrrrrrrrrr.........

lundi 24 août 2009

Les Dialogues de Calyste (8)

(Ben oui, pourquoi y aurai'k Platon et les carmélites?)

- Tu connais BO et FO?
- Ah ouais, les deux jumeaux qui sont sur un bâteau!
- Quand t'auras fini de faire l' idiot!
- Ben ch'ais pas, moi. A part le Bulletin Officiel et Force Ouvrière, j'vois pas.
- Tu pourrais sortir la semaine. BO, c'est Back Office et FO, c'est Front Office.
- C'est de l'anglais?
- A ton avis...
- Et ça veut dire quoi?
- Eh bien, vois-tu...
- Ouais, bon, finalement, j'm'en tape. J'en ai marre de l'anglais. Et puis, pour l'instant, je suis OB.
- OB ?
- T'es lourd, toi aussi. Overbooker, quoi.
- Ah, ok!
- Non, ko!
(Dialogue fictif, celui-ci)

Belle de Serbie

- J'ai cru que j'étais la seule?

Qui était cette femme qui s'adressait ainsi à moi ? Je venais d'apercevoir, près du jardin mexicain, une touffe de belles de nuit, des jaunes, qui commençaient déjà à s'ouvrir.

Elle était grande, portait bien une soixantaine avancée et avait dû être belle dans sa jeunesse. Aujourd'hui, la taille s'était empâtée et les seins, sous une marinière un peu lâche, n'avaient plus d'allure conquérante. Mais elle avait gardé de beaux cheveux, blancs, coupés à la garçonne et légèrement frisés et des yeux d'une grande gaieté.

Elle s'était entre temps approchée de moi.

- Pardon?

- Je croyais être la seule à ramasser des graines.

J'étais en effet agenouillé devant un coin du massif et cueillais les graines arrivées à maturité. Je n'avais pas de jaunes sur mon balcon et, comme je comptais en donner à J., ma provision commençait à être conséquente.

Elle me sourit pendant que je lui expliquais mon amour des plantes et des fleurs. Un court instant, j'eus peur que ne s'installe un malentendu. Elle était à peu près de mon âge et c'était une femme. Mais elle ne semblait pas intéressée par autre chose que par cette conversation.

- Moi aussi, je les aime, mais je n'ai pas où les mettre. Alors je cueille pour offrir aux autres.

Et, convertissant sa parole en actes, elle se mit à m'aider dans ma tâche en me choisissant les plus grosses à sa portée. Nous parlâmes de terre, de soleil, d'instinct, de palmiers et de plantes grasses. Elle avait un léger accent qui s'amusait à faire rouler les R et bientôt je me permis de lui demander ses origines. Elle hésita un instant puis me répondit, presque à contre cœur:

- Je suis slave.

Vague! Alors j'insistai au risque de paraître impoli et, après avoir encore hésité, elle précisa: Serbe. En avait-elle honte? Était-elle gênée d'appartenir à une ethnie qui s'était illustrée dans le massacre de ses anciens compatriotes? Elle me fixa de ses yeux bleus et murmura:

- De la connerie, tout ça. Des guerres pour le pouvoir. La religion n'est rien. Avant, nous vivions ensemble.

Sans nous concertés, nous préférâmes reprendre l'ancienne conversation, celle sur les végétaux. Elle me parla d'une de ses plantes grasses qui n'en finissait pas de grandir et de prospérer aussi bien en hauteur qu'en envergure. Elle me dit où trouver des graines de belles de nuit blanches (je les ai cherchées après l'avoir quittée mais ne les ai pas trouvées).

Un peu plus tard, elle s'éloignait après m'avoir salué d'un "Au revoir, l'ami" qu'elle devait penser la formule adéquate pour prendre congé d'un inconnu. Je la regardai s'en aller, calme, placide, bien plantée sur ses deux jambes. Mais, quelque temps après, alors que je quittai le parc, je la vis revenir et, de loin, me tendre quelque chose qu'elle tenait à la main.

- C'est ce dont je vous ai parlé: la plante grasse qui grandit, qui grandit..."

Où avait-elle pris cette bouture? Je n'en sais rien. Elle avait un sac pour la camoufler si nécessaire, moi pas. Je regagnai ma voiture en espérant que cette plante déracinée ne se remarquait pas trop et que je ne serais pas inquiéter pour dégradation et vol. Rien de tout cela. Elle est maintenant allée rejoindre les autres, sur le balcon de la cuisine.

Quant à cette femme que je n'avais jamais vue, il est probable que je ne la rencontrerai plus. Si vous croisez une grande dame simplement habillée, aux seins lourds sous sa marinière et aux mains tachées de terre, aux beaux yeux calmes et aux cheveux animés sous la brise, sachez qu'elle est comme les insectes avec les plantes: elle prend ici pour aller semer ailleurs. La belle jardinière.

dimanche 23 août 2009

Pas à pas, papa

Lorsque j'avais trois ou quatre ans, avais-je le même air que ce petit garçon que j'ai croisé aujourd'hui, en promenade avec son papa?

Ils s'avançaient tous les deux sur le chemin, seuls au monde, le grand calquant son rythme sur le pas du petit, l'un tenant la main de l'autre, l'un regardant la route et l'autre tout là-haut la tête de son père. Le petit garçon avait un short long qui lui donnait des allures d'adulte, le papa en avait un aussi qui le rajeunissait. Ils se ressemblaient, absorbés par leur conversation. Ils semblaient parler d'une ancienne nounou, Ghislaine, mais je n'ai pas écouté aux portes: c'était trop important et eux seuls devaient être dans la confidence.

Ce que j'ai vu, c'est la marche du petit, pas encore totalement assurée, les deux pieds un peu tournés vers l'extérieur comme pour avoir une meilleure stabilité, et pourtant déjà décidé à emboîter le pas au géniteur.

Ce que j'ai vu, c'est le regard enfantin porté sur l'adulte, sur les yeux de l'adulte, comme pour y chercher confirmation, validation des mots qu'ils venaient de prononcer, aussi peu sûrs d'eux que les pas de sa marche.

Ce que j'ai vu, c'est la tête un instant détournée de l'enfant au moment d'un silence, d'une pose dans l'échange, soit qu'il redécouvre le monde qui les entourait et qu'il avait oublié, soit qu'un rayon de soleil filtrant à travers les branches et un instant posé sur sa joue, un furtif glissement dans le tapis de feuilles au sol ou la trille soudaine d'un oiseau invisible l'aient surpris et emmené dans un rêve.

Ce que j'ai vu, c'est ce voyage express dans un ailleurs que peu à peu il découvre, dans un monde intérieur qu'il fera sien jour après jour et qu'il enrichira après s'en être enrichi, ce monde où son père n'est plus là et où il n'y a que lui, face à lui, à construire.

Ce que j'ai vu, c'est bien vite la tête qui se retourne vers le père et la main qui, l'espace d'une seconde, sert un peu plus fort la paume de l'adulte.

Et puis ils étaient passés.

Je n'ai aucun souvenir semblable. J'espère seulement que je n'ai fait que les oublier. Mais pourquoi ai-je toujours les yeux brillants après?

Momentini

Aujourd'hui (samedi), des nouvelles de mes amis:

- Laurent, avec qui j'avais passé un mois en 81 à Pérouse (Ombrie), à l'Université pour Étrangers: ce matin, en allant prendre des photos au parc en vélo, j'ai croisé Agnès, une connaissance commune, à qui j'ai demandé ce qu'il devenait. Mort. D'un cancer. Jeune.

- Nicolas, mon collègue de l'an dernier, qui m'a envoyé un mail pour que nous déjeunions ensemble une nouvelle fois cette semaine, avant la rentrée. Il me demande si ça me ferait plaisir. Devine! Je ne vais pas me faire prier!

Ainsi va la vie.

Juste comme ça

Je me demande quelle tête je ferais si je devais commencer mon autobiographie par la phrase:

"Mon père était flûtiste à l'Orchestre National de xxxx...".

Quelle tête? Et surtout quelle vie aurait été la mienne?

Juste comme ça, pour savoir. De toutes façons, je n'ai pas l'intention d'écrire mon autobiographie. Mais bon, pour savoir.

samedi 22 août 2009

Vacances

"Alors, bientôt finis les trois mois de vacances? Ça va te faire drôle de te lever!", "Tu vas bientôt reprendre ton cartable?", "Tu as pensé à couvrir tes cahiers?". Voilà le genre de phrases idiotes qui, outre les gondoles de supermarchés remplies à craquer, dès fin juin, de papeterie et de gadgets tous aussi inutiles que chers que s'arrachent les futurs élèves s'ils y reconnaissent un de leurs héros favoris , me mettaient autrefois superbement en rogne.

Aujourd'hui, je m'en moque. Tiens, d'ailleurs, ou bien l'invasion des fournitures scolaires s'est faite plus discrète ou bien je suis passé maître dans l'art de choisir ce que je veux voir, mais cette année, je ne m'en suis même pas rendu compte lorsque j'ai acheté mon agenda septembre/septembre (gris) et mon carnet de notes (bleu comme toujours).

Bien sûr, il faudrait reprendre les joyeux drilles auteurs des phrases sus-citées, leur expliquer que juillet (un peu entamé même) et août, ça ne fait jamais que deux mois et pas trois, que les ados d'aujourd'hui ont remplacé depuis longtemps le cartable par le sac à dos et qu'il y a des lustres que les cahiers ne se couvrent plus, en tout cas à partir du collège. Mais pour quoi faire, pourquoi leur expliquer tout cela? Ils trouveraient autre chose. Les préjugés sur l'enseignement et la fainéantise des profs sont parmi les plus tenaces, tout comme ceux sur l'appétit sexuel démesuré du personnel hospitalier ou la pédérastie douçâtre des membres du bas clergé!

Alors, comme disait le frère de ma grand-tante, assis devant sa ferme en 36: "Les chiens aboient, la caravane passe!". Il me reste encore une semaine à disposer de mon temps comme je l'entends, et je l'entends très bien! Couché tard, levé pas trop tard, petite sieste l'après-midi, faire ou ne pas faire, lecture, photos, vélo, que sais-je? Profiter de ce qui ne va pas durer, avec le sentiment que cela ne va pas durer juste là pour donner un peu plus de saveur au moment.

Les vacances 2009 auront été calmes, mais agréables. Bien que resté à Lyon la majeure partie du temps, je n'ai pas eu l'impression d'y avoir été oublié comme un vieux croûton condamné à se dessécher derrière un placard. Bon d'accord, problème de jambe, manifestations proposées par Tout l'monde dehors pas toujours passionnantes cet été, petit épisode de très grosse chaleur interdisant le mouvement dans les premières heures de l'après-midi. Mais, en contrepartie, farniente au soleil avec Stéphane, douceur de vivre dans une ville calme et momentanément décontractée, repas avec les uns, franche partie de rigolade avec les autres (ou les mêmes). Seule Kicou ne sera plus là à la rentrée.

Deux semaines ailleurs aussi: en juillet dans la Creuse pour mon habituelle cure de sommeil entrecoupée, cette année, de visites culturelles et de baignades dénudées; en août en Maurienne puis en Italie pour deux petits jours seulement mais qui m'ont donné un plaisir intense et l'envie de ré-entreprendre quelques voyages à l'avenir (c'est vrai que Naples me trotte toujours dans la tête).

Y avait-il besoin d'autre chose? Suis-je en manque d'une manière ou d'une autre? Non. Je trouve que j'ai passé de bonne vacances d'été, ...... et attends avec impatience les suivantes. Quand? Eh bien dans deux mois, pour la Toussaint. Tout le monde sait bien qu'au-delà un enseignant n'est plus performant!

PS: si j'aime bien traîner le matin (principalement parce que je me couche tard), je n'ai jamais rechigné à me lever tôt.
PS2: je n'ai jamais connu le frère de ma grand-tante et, s'il existait, je n'ai aucune idée de ce qu'il faisait et disait en 36.
PS3: Bonnes vacances à ceux qui les commencent maintenant. Je ne suis pas jaloux, moi.

vendredi 21 août 2009

Fermer les volets

"Fermer les volets et ne plus changer l'eau des fleurs". La chanson commençait ainsi. C'était Viktor Lazlo qui la chantait, en 1985. Elle avait pour titre Canoë rose, mais ça, je l'ai su plus tard. Je l'aimais. Comment ai-je pu? Aujourd'hui, je me soigne contre cette sorte d'état d'âme, je ne m'y complais plus.
Mais, alors que je l'écoutais tout à l'heure à la radio, elle m'a touché, malgré moi.

Inspecteur des travaux (pas) finis

Je n'ai pas pu résister. Je voulais voir l'état d'avancée des travaux du Collège à une grosse semaine de la rentrée. J'ai vu!

Une des deux salles de technologie fraîchement installée au rez-de-chaussée sera prête pour le jour J., l'autre non, et les cours continueront à se passer au sous-sol pour certains. Je n'ai pu accéder à la nouvelle salle des profs, la porte étant fermée à clé. Bon ou mauvais signe? Dans les étages, le nouveau couloir est presque prêt et me semble, heureusement, plus large que ce que j'avais imaginé. Sans une doute un effet des règles de sécurité plus strictes à appliquer aujourd'hui. La cage d'ascenseur pour l'instant se résume à un profond trou béant.

L'ancienne partie que nous occupions au second et que nous rétrocédons aux sœurs n'a pas bougé, après démolition des cloisons, et sert actuellement d'entrepôts à matériaux. Il faut d'ailleurs réfléchir pour savoir où l'on se trouve exactement. J'ai tout de même pu vaguement identifier l'ancienne salle des profs, l'ancien bureau de Stéphane et l'ancienne salle des machines à café (accessoirement tanière des profs de lettres, français et histoire réunis). Quant à la pièce où devrait se trouver, je pense, mon matériel personnel, impossible d'y accéder pour l'instant.

L'arrière du bâtiment a été vaguement débarrassé de tout ce qu'il y traînait au moment du départ en vacances mais la cour principale est encore encombrée de tas de sable, barrières, bennes à ordures et engins de tous ordres. L'ensemble baigne dans une poussière épaisse qu'il faudra bien faire disparaître, sans doute avec un jet puissant. Nous n'avons pas fini d'en ramener à la maison sous les manches ou sur nos fonds de culottes!



J'ai croisé deux sœurs, Emmanuel-Marie qui va bientôt quitter les lieux, et Anne-Elisabeth, toujours aussi sourde, qui aurait dû les avoir quittés depuis longtemps si elle ne s'était pas cassé le pied. J'ai appris qu'Ilona rentrait de Hongrie. Petit à petit, le monde reprend sa place. Mais pas un seul responsable administratif, pas un seul collègue. Je les comprends! Il ne reste plus qu'à faire confiance à ceux qui travaillent de leurs mains!

jeudi 20 août 2009

Solution

"No man's land" en six lettres, c'était Lesbos, bien entendu. Mais vous aviez tous trouvé!

Je me rebiffe

Depuis deux mois, je marche comme un petit vieux, penché, hésitant, parfois plié en deux. Je n'ai pas couru depuis juin, voire peut-être mai (inutile de dire que j'ai fait une croix sur le semi marathon de septembre!). Depuis trois jours, il fait à Lyon autour de trente-neuf degrés à l'ombre, de quoi décourager les meilleures volontés.

Alors, à certains moments, je me rebiffe: mercredi en allant à Miribel avec Stéphane, l'après-midi. Tant qu'à transpirer, autant savoir pourquoi. Je m'étais tout de même réservé une place mi ombre mi soleil. Beaucoup de monde mais étonnamment calme. Nous avons passé notre temps dans l'eau.



Et ce soir, mini tour de la ville en vélov. Parti pour deux heures, du parc de la Tête d'Or à la gare des Brotteaux, de la Manufacture des tabacs à la Fosse aux Ours. J'ai fourbu quatre fringants coursiers sous mes coups de pédales, mais la mauvaise volonté de certaines stations à délivrer ce qu'on leur demande, un vélo, et le vent chaud, très chaud, du sud, m'ont fait renoncé à poursuivre. Même l'envie de prendre des photos n'a pas été la plus forte. Retour ici, chez moi, ou par comparaison, il fait presque frais. Demain, il pleut. Tant mieux.

Ramené deux pépites, comme on dit aujourd'hui quand on est où il faut être absolument:
-D'abord la pub affichée pour la tranche matinale de je ne sais quelle radio avec Nikos Aliagas: "Essaie-toi au 6.9 avec un grec." Mignon, non?
- Ensuite la méthode de la municipalité de Lyon pour lutter contre la canicule: l'affichage électronique. Y a plus qu'à y croire! (A cette heure-là, il devait encore faire autour de 28°!)

Petit cours de vocabulaire éclairant à l'heure où certain(s) prépare(nt) la rentrée des classes

Y croirait-on? Un petit mot si insignifiant, si bête, sorti d'une onomatopée, "clac!", bruit de la porte qui se ferme ou de l'appareil photos en action si on lui adjoint clic. Un petit mot qui a pris de l'embonpoint, du cul, pour devenir claque, ce qu'il est maintenant, sans distinction de genre: un claque, une claque.

A tout seigneur, tout honneur, bien que l'élément féminin y soit prédominant,le masculin "claque", hypocritement nommé maison de tolérance, serait à rapprocher du verbe "claquer", dépenser son argent. Celui qui pèche par trop de zèle peut y claquer, perdant définitivement sa connaissance, comme Félix Faure qui, lui, n'a pas eu besoin de sortir de chez lui. En sortant de cet établissement, on peut simplement être claqué, fatigué, ou en avoir sa claque, et glisser au féminin, après avoir salué de loin le chapeau claque dont plus personne ne se soucie.

La claque. Tout aussi riche de sens, mine de rien. D'abord, bien sûr, celle que l'on reçoit ou que l'on administre et qui ne fait pas moins mal si l'on choisit de l'appeler gifle, qu'elle soit physique ou morale. Deux claques équivalaient aussi autrefois à une paire de sandales qui se fixaient avec des cordons aux souliers pour les protéger des intempéries. D'où l'expression "prendre ses cliques et ses claques". Enfin cet ensemble de sbires tout en dévotion devant celui qui les paie pour applaudir au moindre de ses déplacements, à la plus insignifiante de ses paroles. Le Dictionnaire Historique de la Langue Française Robert, sous la direction d'Alain Rey, et sur lequel je m'appuie, prétend que cet emploi a vieilli avec l'usage qu'il désigne: je n'en suis plus si sûr depuis deux ou trois jours!

Bordel, fatigue, moyen de ne pas se mouiller, gifle, louanges éhontées, fuite honteuse: chacun retrouvera là ce qui le concerne. Mais le contemporain nous aura appris, au détour d'une gondole de supermarché, que l'on peut avoir pris sa clique et reçu sa claque! Les enseignants devront-ils, dès cette année, inclure cette nouvelle expression dans leur programme de vocabulaire à acquérir?

PS: Le prochain cours portera sans doute sur l'expression elle aussi très célèbre: à l'insu de son plein gré!

mercredi 19 août 2009

Mots croisés

J'ai fait des mots croisés pendant des années. J'y passais un temps fou. Peu à peu, j'achetais des grilles avec indice de difficulté de plus en plus élevé, voire des recueils de grilles muettes (sans cases noires apparentes).

A Lyon, le matin, je me levais plus tôt pour m'en faire une avant le travail, comme on se grille une petite cigarette, juste pour le plaisir solitaire. A Bons, pendant les vacances, je restais souvent assis à la table de la cuisine après que Pierre se soit couché. Lui lisait en haut, moi je remplissais des cases en bas. Parfois, devant une définition qui me résistait, je lui demandais son avis. "En combien de lettres?". Le dialogue s'installait momentanément entre les deux étages, puis chacun replongeait dans son activité. Parfois, alors que je croyais Pierre endormi, j'entendais sa voix me souffler la réponse. Tout cela avait sans doute un air surréaliste vu de l'extérieur mais nous n'étions que tous les deux et n'avions pas besoin pour nous comprendre de finir notre phrase ou d'avoir la connaissance des éléments manquants.

Une grille terminée, au lieu d'aller me coucher, j'en entamais tout de suite une autre, comme je le fais encore pour les livres, terminant un roman et enchaînant sur le suivant. Ce jeu-là pouvait me mener loin dans la nuit. Souvent Pierre redescendait pour boire de l'eau ou parce qu'il n'avait plus sommeil. Il se mettait alors à bricoler, n'importe quoi, et c'était souvent moi qui, finalement, m'endormais le premier, après être allé pisser dehors, le long du champ, face à la Grande Ourse, toujours face à la Grande Ourse.

Et puis la passion a disparu. Je ne sais ni quand ni comment. Un jour simplement, je me suis rendu compte que je n'en faisais plus, que je n'arrachais plus les pages de jeux de Télérama, du Nouvel Obs ou de La Vie pour les empiler dans les toilettes avant de les noircir. Toujours avec un stylo, jamais avec un crayon à papier: j'aimais ce défi que je me lançais de ne pas avoir à raturer.

Un jour, j'ai arrêté. Est-ce pendant la maladie de Pierre? Sans doute. Je n'ouvrais même plus les magazines auxquels nous étions abandonnés. Pendant des mois, ils sont partis à la poubelle à papier sans même avoir été feuilletés. Plus exactement, je les entassais sur la table basse du salon, sans trop croire qu'un jour je rattraperais ce retard de lecture qui grossissait chaque semaine mais sans oser non plus m'en débarrasser directement.

Et puis, en Maurienne, mes deux compagnons de voyage ont acheté le Dauphiné du dimanche et son programme télé. Ils sont de gros consommateurs de petit écran, même au petit déjeuner, ce qui m'a demandé un bel effort d'adaptation, heureusement de quelques jours seulement. J'ai trouvé dans le supplément télé une grille de mots fléchés, faite en cinq minutes à peine, et surtout une assez grande grille de mots croisés (20x20) qui m'a donné plus de fil à retordre. Je l'ai rapportée à Lyon. Elle est bien évidemment aux toilettes, endroit relativement frais de l'appartement où je passe donc volontiers plus de temps en ces jours de canicule.

Je ne sais pas si cette grille sera suivie d'autres. J'en doute. Ce que je vois, c'est que je voulais parler de mots croisés et que mes mots à moi sont encore allés faire un tour du côté de Bons-en-Chablais, dans la maison des vacances, y croiser tant de souvenirs. Décidément, le compte avec cette maison n'est pas encore apuré.

Pour finir, une petite définition que j'aime beaucoup et dont je vous laisse chercher la solution. Elle est assez célèbre, il me semble: "no man's land" (en six lettres)?. Réponse demain.

mardi 18 août 2009

Un Nuage comme tapis

Retour d'Italie. Retour à mes certitudes. Un Nuage comme tapis, de Erri De Luca. Quatorze courts chapitres à partir de sa lecture de la Bible. Tout comme Le Noyau d'olive, en plus rude cette fois-ci. Pas de glose, une lecture personnelle à la fois savante et intuitive, froide comme le raisonnement sur l'étymologie et tendre comme l'amour que l'on porte à un texte. On n'est pas sûr de tout comprendre, on suit le raisonnement et puis l'on s'égare dans le sien propre. J'ai déjà fait la même remarque au sujet de Jean-Bertrand Pontalis. On s'évade de soi dans le livre et l'on s'évade du livre dans le soi, sans se perdre, jamais. En voilà deux dont j'ai peur qu'un jour, ils n'écrivent plus.

L'Hébreu fouillait dans sa langue écrite, gravée dans la pierre, pour en extraire les nombreuses significations. "Dieu a dit une chose, j'en ai entendu deux", annonce le psaume 62. Mais un traité du Talmud élevait en puissance les sens contenus dans un même passage: "Comme un marteau fait éclater le roc (Jérémie 23,29) signifie que comme un marteau fait éclater le roc en une multitude de fragments, ainsi un même passage de l'Écriture a de nombreuses significations." L'Hébreu tentait de saisir les étincelles de sens qui se dégageaient de chaque phrase, de chaque mot.
Le Grec s'occupait de sa "langue jardin" comme Adam dans l'Éden, en nommant les choses qui porteraient pour toujours, dans d'autres langues le nom qu'il choisissait. Esprits, accents, formes infinies du verbe étaient la matière d'un idiome exubérant, malléable, qui se prêtait aux nombreux pieds d'un vers, aux métriques suaves comme aux théorèmes de géométrie. Le Grec remplissait ses bibliothèques d'œuvres parfaites: poèmes, drames, histoires et cosmogonies mentales de qui se déclarait ami du savoir, à la lettre: philosophe.

(Trad. de Danièle Valin)

Une rousse

Milan. Via Dante. Brasserie Farinella. Août 2009.

La serveuse était rousse et belle. J'en ai fait la remarque aux autres. Ils ont ri: "Toi, voir de la beauté chez une femme!". Elle était belle. A peine femme, la petite trentaine peut-être. Pas grande mais fine, élancée. Et sans odeur. Une peau légèrement diaphane sur laquelle ressortait le réseau bleuté de quelques veinules. La prémonition d'invisibles pattes d'oie au coin des yeux. Un air de fatigue naissante.

Les autres voulaient de la bière brune. Je lui ai parlé en italien. Elle m'a répondu, en italien, en souriant. Mais comment dire brune pour de la bière? Alors elle a pris son plateau d'une seule main, a soulevé l'autre en me montrant ses cheveux: "Cosi?". Cosi, si! Et en désignant les miens, elle a voulu savoir, en français. Elle est repartie gracieuse. Elle venait d'apprendre un mot: poivre et sel. Moi, j'avais vu sourire une Vierge de tableau primitif. Musée de la rue.

lundi 17 août 2009

La mer

C'est le titre d'un roman de John Banville, que la quatrième de couverture présente comme aussi estimable que ses parallèles dans la chanson (Trenet) ou dans la musique dite classique (Debussy). Je ne partage pas tout à fait ce point de vue, surtout complété par l'expression employée : "un roman inoubliable". Quand donc s'arrêtera la surenchère de cette quatrième de couverture qui n'en peut plus d'user jusqu'à la corde les expressions grandiloquentes et les superlatifs les plus éculés? Présenter le thème du livre, en donner une première idée devrait suffire. Pas besoin de l'avis de Truc de Télérama ou de Machin de Lire. Mais peut-on en vouloir aux éditeurs quand on entend les journalistes commenter des événements qu'ils sont censés présenter de la façon la plus neutre possible (et je ne parle pas uniquement de neutralité politique, la mode immonde d'offrir à l'écran un visage larmoyant ou catastrophé à l'annonce d'un cataclysme excitant ma bile encore bien davantage!)?

Mais je m'éloigne du sujet. On pourrait croire, à lire ce qui précède, que je n'ai pas aimé ce roman, ce qui est faux. Simplement, ce n'est pas le chef-d'œuvre annoncé et, dans un mois ou deux, j'aurais sans doute totalement oublié ce dont il y était question.

Le narrateur est Max, la narration comme une écriture de journal intime où ce personnage évoque la mort de sa femme, son retour après le deuil au village en bord de mer où il a passé son enfance. La trame se complique de l'évocation des rapports établis au cours de cette enfance avec les enfants de gens aisés venus passés leur vacances dans la grande maison voisine. Peu à peu, les deux fils de ce canevas se rapprochent et la mort de la femme précède de peu, dans la succession des chapitres (et non pas chronologiquement), la mort des deux enfants sous les yeux de Rose, leur gouvernante qui, justement est cette Melle Vavasour qui héberge Max après son deuil.

Roman de mort, donc, et de souvenirs recomposés, d'amour aussi, adulte et enfantin. Mais il est loin, le vert paradis évoqué par Baudelaire. Là, tout baigne dans la mélancolie et les ciels changeants de la grève océane.

J'ai toujours eu la conviction, laquelle a résisté à toute considération rationnelle, que, à un moment non spécifié du futur, cette répétition perpétuelle que constitue ma vie, avec ses innombrables erreurs d'interprétation, faux pas et ratages, arriverait à son terme et que la véritable pièce pour laquelle je me prépare depuis toujours avec tant de ferveur commencerait enfin. C'est une illusion courante, je le sais, dont tout un chacun se berce. (...). Je n'ai pas idée de la manière dont se passerait ce saut dramatique au cœur de l'action ni de ce qui pourrait se produire au juste, sur les planches. Néanmoins, j'anticipe une sorte d'apothéose, un climatère grandiose?. Je ne parle pas ici de transfiguration posthume. Je n'imagine pas la possibilité d'une vie après la vie ni un dieu capable de me l'offrir. Vu le monde que Dieu a créé, ce serait un sacrilège que de croire en lui. Non, ce que j'attends avec impatience, c'est un moment d'expression terrestre. C'est ça, c'est exactement ça: je serai exprimé, totalement. Je serai délivré, tel un noble discours de clôture. Je serai, en un mot, dit.
(Trad. de Michèle Albaret-Maatsch)

Deux rescapés de l'oubli

Ne rien écrire pendant et reconstituer son voyage a posteriori devant son clavier n'est pas moins fatigant que taper au retour toutes les pages manuscrites. Je viens d'en faire l'expérience, heureusement aidé par le nombre important de photos prises aussi bien en Maurienne qu'en Italie. La différence, s'il en est une, est un moins grand plaisir à cimenter les phrases, alors que, lorsque l'on écrit le jour même de la chose vécue, la jouissance me semble plus complexe.

Et quand on a fini ce qui demande un effort assez prolongé et que l'on relit, on s'aperçoit que l'on n'a pas parlé de tout, que des éléments importants, ou ressentis comme tels au moment où ils apparaissaient, ont disparu, emportés par les fluctuations d'une pensée plus rapide que la main.

Alors je vais en sauver deux de l'oubli, comme ça, pris au hasard de cette même pensée vagabonde. Pourquoi ceux-là plutôt que ceux-ci? Pourquoi pas. Je ne fais pas oeuvre de démiurge mais d'impressionniste.

L'être qui, chaque soir, couchait sous le porche protecteur de l'église St Charles Borromée, près de l'hôtel où je logeais à Milan. Je dis "être" car je n'ai pas su si c'était un homme ou une femme. Vu le premier soir alors qu'il était appuyé dans l'obscurité contre une colonne de ce porche, à boire ou tenter de se laver, à manipuler du liquide en tout cas, qui formait une petite flaque à son côté. Vu le deuxième soir, déjà endormi, à même le sol, les jambes nues allongées devant la porte de l'église, la tête toujours dans l'obscurité, le corps dans la moiteur ambiante. Disparu le jour, avec un simple souvenir de rance flottant dans l'air quand j'ai voulu pénétrer dans l'église.

Le couple au restaurant de Bergame. Nos voisins de table, aperçus un moment avant sur la Piazza Vecchia. Deux français, tous les deux très jeunes, à peine plus de vingt ans. Le garçon mince et brun, presque fluet. La fille énorme, au corps de bourrelets, au visage de Madone, d'une grâce infinie. Conversation à peine ébauchée lorsque j'ai demandé au jeune homme ce qu'il mangeait et qui sentait si bon. La jeune fille m'intéressait davantage: je sais que ce que je vais écrire peut paraître méprisant (et je suis bien sûr que, dans ma tête, ça ne l'est pas) mais j'ai toujours plaint les gros en temps de fortes chaleurs. Moi qui ai toujours l'impression que même mes os transpirent, je ne comprends pas comment ils peuvent supporter ce que je pense être une profonde souffrance pour eux. Ils étaient au début tous deux assez silencieux, peut-être gênés par la présence si près d'eux de trois francophones, mais bien vite, en tendant l'oreille, je m'aperçus qu'ils avaient recommencé à bavarder, simplement un ton plus bas. Nous, par hasard, nous parlions de Freaks,le film de Tod Browning. Je fus le seul à l'entendre, elle, qui lui demandait à lui s'il avait aimé ses vacances avec elle. La réponse fut rapide mais je ne la saisis pas. Ensuite le silence s'installa, un long moment.

Déplacer la chaise

Assis à mon bureau cet après-midi, j'ai, dans le reflet de la fenêtre aux volets clos pour cause de trop grande chaleur, aperçu, à l'opposé de l'appartement, la porte-fenêtre de ma chambre et un angle du balcon qui donne sur la cour. Je voyais aussi la végétation qui emplit ce balcon aujourd'hui, généreuse et grasse malgré l'intensité du soleil.

Je voyais tout cela et, un instant, je ne l'ai pas reconnu. J'étais ailleurs, les choses avaient un autre visage que celui de l'ordinaire. On aurait dit qu'elles avaient profité de mon occupation pour se métamorphoser et qu'elle n'avaient pas eu le temps de reprendre leur aspect initial, peut-être à cause de la rapidité de mon geste. Ainsi ai-je cru voir un autre balcon que le mien, d'autres plantes, d'autres couleurs qui, sans que je puisse l'expliquer, puisque rien ne correspond vraiment, m'ont ramené à Pérouse, en Ombrie, l'année 81, quand j'avais loué une chambre près du palais Gallenga.

Peut-être suffit-il parfois de déplacer légèrement sa chaise de quelques centimètres d'un côté ou de l'autre pour voir la vie différemment.

Milan, Côme, Bergame et Milan

Décidément il sera dit que je ne verrai plus l'Italie sans boiter. Il y a trois ans, pendant le voyage avec Laurent, c'était le genou qui avait flanché. Cette année, c'est la douleur sciatique qui n'a pas cessé depuis le début des vacances.

Mardi 11: départ par le tunnel du Fréjus, sans attente. Coup de chance. Après la descente des Alpes, traversée de la plaine du Po par autoroute. Toujours tout droit, toujours tout plat. Le paysage est souvent masqué par des murs anti bruit. L'autoroute est longé sur des kilomètres par une voie de chemin de fer entièrement neuve où il ne semble passer aucun train (un seul aperçu au retour). Notre destination: Milan, après avoir décidé de faire l'impasse sur Turin.

Ma précédente expérience de la capitale lombarde m'avait appris qu'il s'agit d'une ville très étendue où il n'est pas toujours facile de se repérer en voiture. J'en avais prévenu mes compagnons de voyage et leur avais conseillé de prendre un hôtel à la périphérie, pour se faciliter la vie. Lors du voyage avec Pierre, il y a sans doute plus de trente ans, nous avions été chaperonnés par un automobiliste serviable dont nous nous étions méfiés au début mais qui finalement nous avait conduit dans un bon petit hôtel tenu par un de ses amis.

Ma proposition n'a pas rencontré le succès escompté mais nous avons eu finalement beaucoup de chance: en suivant la direction du centre, nous avons découvert dans le vieux Milan un petit hôtel très bien placé et très agréable pour un prix plus qu'abordable: pour ceux que cela intéresserait, il s'agit de l'hôtel Vecchia Milano, 4 Via Borromei. La seule difficulté était le garage de la voiture. Mais le prix du stationnement n'était pas exorbitant non plus. Et tout cela à même pas dix minutes à pied du Dôme (même pour moi qui ralentissais tout le monde)!

La prise de contact nous mena tout naturellement de la Piazza del Duomo au Castello Sforzesco (de la place de la Cathédrale au Château Sforza) en empruntant les larges avenues chic du centre ville et en prenant des torticolis pour admirer la verrière de la fameuse Galerie Victor-Emmanuel . Frédéric trouvait à Milan des airs de ressemblance avec Genève, ce qui est loin d'être faux puisqu'il s'agit aussi d'une grande métropole financière: mêmes nombreuses banques au mètre carré, mêmes immeubles cossus du XIX° siècle, mêmes perspectives orgueilleuses. Je lui ai expliqué que la grande différence, c'était le tempérament des deux peuples!

D'ailleurs quelques personnages rencontrés au cours de notre passeggiata (promenade) et le mode de vie entrevu le lui ont bien montré: sculpteur de grosses carottes dont il sortait des poissons et des oiseaux, athlète assis sur un banc et lisant tranquillement un roman, cours de danse improvisé sous un "portique" avec professeur à l'œil hypermobile, et, le soir, Foire aux livres sur la Piazza Mercanti, une charmante petite place où se côtoient des palazzi de différents styles architecturaux. Pour les repas, nous avons très vite fait du café Farinella notre cantine attitrée, aussi bien à midi que le soir.

Mercredi 12: départ pour le lac de Côme, finalement peu éloigné. Là aussi, souvenir d'un voyage avec Pierre: j'ai encore en tête l'albergo où nous avions logé et la tempête mémorable qui s'était déchaînée ce soir-là sur le lac. Rien de tout cela cette fois-ci. Après un repas léger le long de la rive, embarquement pour un petit tour en bateau: une heure de navigation sous un magnifique soleil, à admirer le site naturel (c'est, à mon avis, un des plus beaux lacs italiens), les villages perchés sur ses pentes et les superbes villas qui en occupent les berges. Visite aussi du centre historique, en particulier du Dôme dont la façade gracieuse présente dans deux niches les statues assises de Pline le Jeune et de son oncle, Pline l'Ancien, écrivains latins tous deux originaires de la ville.

En milieu d'après-midi, départ pour Bergame. Nous prenons par la route, ce qui permet à Jean-Claude et Frédéric de voir un peu d'Italie "profonde" et à moi de récupérer le moment de sieste auquel je n'avais pas eu droit plus tôt. Émotion pour moi de passer tout près du village de Sotto il Monte , village de naissance du pape Jean XXIII, lié encore à un souvenir que je raconterai peut-être un jour. Cet illustre enfant du pays, nous le retrouverons un peu plus tard dans une des chapelle du Dôme de Bergame.

Là encore, ma mémoire est assez fidèle. je me souvenais parfaitement des deux villes, la basse sans beaucoup d'intérêt touristique, et la haute où se concentrent églises, baptistaires et palais. J'avais simplement oublié que, comme Pérouse à laquelle elle ressemble par beaucoup d'aspects, l'ascension peut en être facilitée par la technique: ascenseur pour Pérouge, funiculaire pour Bergame.

Par un lacis de petites ruelles, nous atteignons bientôt la Piazza Vecchia, bel ensemble architectural que domine le beffroi du Palais de la Ragione. Tout de suite derrière, la Piazza del Duomo avec le baptistaire octogonal du XIV° siècle, la Chapelle Colleoni à l'intérieur de laquelle se dresse la monumentale statue équestre de Bartolomeo Colleoni, célèbre condottiere du XV° (pourquoi l'avais-je, dans mes souvenirs, placée à l'extérieur, sur la place?) et le Dôme, Ste Marie-Majeure, où se trouve la chapelle dédiée à Jean XXIII et agrémentée d'une statue très réaliste du pape de Vatican II. Malgré mes recherches, je n'ai pas retrouvé la tapisserie représentant l'Annonciation avec une "mise en scène" relativement rare, c'est-à-dire avec l'Ange arrivant de la droite.

Apéritif sur la Piazza Vecchia, un peu gâché par l'extrême lenteur du serveur puis repas à proximité, à l'albergo Il Sole (le Soleil). Repas excellent sur une terrasse avec moustiquaire mais moment de tension entre nous, le seul du voyage (ce qui, en soi, est déjà fabuleux!): accumulation de la fatigue, trop grande chaleur? Le retour à Milan par autoroute se fit dans le plus grand des silences. Heureusement, le froid ne fut que passager et se dissipa le lendemain, lors de la visite des musées.

Jeudi 13: longue visite des Musei du Château Sforza. Nous n'imaginions pas l'ensemble aussi important ni aussi intéressant. Heureusement, ce jour-là exceptionnellement, ma douleur le long de la jambe s'était presque fait oublier. Je ne peux décrire en détail tous les trésors de peintures, sculptures, mobilier, vaisselle que ces musées contiennent. J'en ai proposé un nombre assez important sur mon site Flickr: rendez-vous là-bas pour ceux que cela intéresse. Une visite à ne pas manquer si l'on se trouve à Milan (de même que la Brera, autre musée magnifique que je connais mais où nous n'avons pas eu le temps de nous rendre cette fois-ci).



Je n'oublie pas bien sûr que nous sommes passés plusieurs fois devant le théâtre de la Scala mais que dire sinon que la façade en est assez banale et qu'il faut sans doute en admirer l'intérieur en y écoutant un concert ou un opéra. Chance que je n'ai pas encore connue. Monsieur Alagna, si vous me lisez...




Notre dernier rendez-vous à Milan fut pour le quartier des canaux. Las, quartier bien endommagé et sale aujourd'hui. D'ailleurs la plupart de ces anciens canaux qui contribuèrent un moment à la richesse de la ville sont aujourd'hui comblés. Trois photos sans s'attarder et nous quittions la Lombardie pour regagner la France via le Piémont.

Petit arrêt anecdotique au retour (après, cette fois-ci, une assez longue attente au tunnel côté italien): j'ai fait découvrir à mes compagnons, au-dessus de Modane, la Maison penchée. Là aussi, si vous passez par là, arrêtez-vous et....entrez: bien peu en ressortent indemnes!



Je ne peux encore dire vraiment le plaisir que j'ai eu à ce voyage en Italie. Il faudra attendre un peu: pour l'instant, j'y suis encore, dans un petit coin de ma tête.

Urgences

Ce soir, je me suis mis devant la télévision. Il fallait pour cela une occasion bien particulière, deux même pour être exact. La première, ce sont les Championnats du monde d'athlétisme qui se déroulent en ce moment à Berlin: j'ai rarement manqué ces rendez-vous de fin d'été et, à Bons, j'ai passé de nombreux après-midi calé dans le canapé vert à suivre les différents compétitions, et ce bien avant de faire du sport moi-même. Outre le plaisir des yeux, à suivre la performance d'un perchiste, d'un sauteur ou d'un coureur, je trouvais à ce spectacle une sorte d'aspect mystique, aspect que j'ai totalement retrouvé lorsque je me suis mis à courir moi-même.

L'autre occasion, c'était le retour depuis quelques semaines de la série américaine Urgences. Le dimanche soir, j'ai suivi pendant des années les deux ou trois épisodes successifs qui faisaient alterner le quotidien d'un service d'urgences dans un hôpital américain de Chicago et les déboires ou les bonheurs de son personnel, médecins, infirmières ou aides-soignantes. J'en étais arrivé même à ne plus répondre au téléphone à ceux, bien peu nombreux, qui ne savaient pas que pendant cette tranche horaire, je n'y étais pour personne. C'était devenu bien vite un sujet de plaisanterie à table, entre collègues.

Ce soir, les "anciens" revenaient dans un épisode de cette dernière saison. Ils étaient tous là ou presque, Carol Hathaway, Doug Ross, John carter, Abby Lockart, Greg Pratt. Il en manquaient pourtant quelques-uns, comme Marc Greeen, Michaël Gallant, Susan Lewis, Kerry Weaver ou Elisabeth Corday. Tous ces noms n'évoquent rien, bien sûr, pour tous ceux qui n'ont jamais suivi cette série. Le simple fait que je puisse de mémoire en citer autant prouve combien j'ai été accro pendant de nombreuses années.

Pourquoi cette série et pas une autre (car il faut que je précise que je ne suis pas un téléspectateur de séries, pas même un téléspectateur tout court)? Il y a bien sûr au départ le charme irrésistible de George Clooney, il y a surtout cette étrange fascination que j'ai toujours eu (et que j'ai encore) pour l'univers médical. J'ai déjà dit, et je le redis, que pour moi, il y a trois grands métiers au monde: les toubibs, les profs et les cuisiniers.

Pierre n'était pas chaud au début pour s'installer devant Urgences puis, peu à peu, il a aimé lui aussi. Lorsqu'il est tombé malade et qu'il a de plus en plus souvent été absent de la maison, j'ai continué à regarder les aventures de ces gens de Chicago parce que leur univers, au début, m'était plus familier que celui que je découvrais dans la réalité au fur et à mesure des séjours de Pierre dans tel ou tel établissement hospitalier. Cela me rassurait, me faisait paraître moins étranger ce monde dans lequel je pénétrais pour de nombreux mois.

Ensuite, je n'ai plus eu besoin de fiction: j'en étais entouré. Seule la chambre de Pierre à la clinique était réelle pour moi. Lorsque je le quittais, lorsque je refermais la porte, je me retrouvais dans une sorte de monde cotonneux et étrange qui n'était pas réel à mes yeux et n'avait de rôle que celui de remplir l'intervalle jusqu'à la prochaine visite. Je me suis peu à peu éloigné de la télévision et d'Urgences aussi.

Ce soir, j'ai bien retrouvé ce qui me plaisait dans cette série: le mélange d'horreur et de sentiment, un grand coup de stress suivi d'un grand bol de romantisme. J'ai regardé cela comme on regarde un livre qu'on a lu il y a très longtemps et que l'on retrouve par hasard dans sa bibliothèque: on est heureux de le toucher, de le feuilleter, de se remémorer quelques passages particulièrement aimés, de se rappeler de soi à l'époque de la lecture mais sans éprouver l'envie de le relire, car on n'est plus le même qu'alors.