mardi 30 juin 2009

Le BNC

(Écrit ce matin, pendant l'examen)

Le DNB, Diplôme National du Brevet, version 2009: un texte de Le Clézio. Il fallait s'y attendre cette année. Curieusement, je n'ai jamais lu cet auteur. Je trouvais son écriture trop poétique. Aujourd'hui, j'aimerais, sans doute. En découvrant ces lignes, extraites de L'Enfant de sous le pont, j'ai pensé à Erri De Luca. Ces deux écrivains sont-ils réellement proches?

Les questions proposées aux élèves sont, comme d'habitude, d'une facilité déconcertante. Un bon cinquième parviendrait sans difficulté à répondre à la majeure partie d'entre elles. Mais ce qui me gêne le plus dans cette épreuve, c'est que tout vise à décortiquer le texte, à le réduire en dizaines de petits aspects qui, au final, en détruisent non seulement le caractère unique mais aussi l'atmosphère particulière. Comment un adolescent, à partir de ce fatras grammatical, pourrait-il apprécier la lecture d'un passage où tout, en réalité, est simple et donné d'emblée si on le lit sans grille de décryptage? Pire encore: comment, à l'inverse, un candidat sensible à la littérature pourrait-il ne pas considérer toutes ces questions pointilleuses et pointillistes comme d'un ennui mortel et d'un intérêt nul?
Je crois qu'il sera bientôt temps pour moi d'arrêter l'enseignement: je risque, sinon, de passer très vite pour un dangereux révolutionnaire.

Dans la salle, une photographie "colorisée" de Don Bosco, assez bel homme, et un crucifix sobre, léché par les traînées noirâtres de l'appareil de chauffage en dessous. La deuxième épreuve vient de commencer. A partir du texte de Le Clézio, il s'agit de rédiger un article de journal. Là aussi, rien de difficile, me semble-t-il. Ce qui le sera sans doute plus, c'est la correction. comment établir un barème de notation précis sur un tel devoir? Je pense que, comme d'habitude, les enseignants seront amenés à accepter, à tolérer un certain nombre de variantes, ce qui, au bout du compte, enlèvera toute valeur effective à cette évaluation.

Je suis allé chercher Nicolas ce matin. Nous nous sommes retrouvés assez tôt avec Isabelle à une boulangerie/bar près du lycée. Il nous a offert le café et les pains au chocolat. Il a accepté que je lui photographie l'œil. Lequel? m'a-t-il demandé: l'intérieur ou l'extérieur? celui qui s'ouvre sur la vie ou celui qui se cache davantage derrière la paupière? J'ai choisi celui qui se cache. Pour l'instant, Nicolas est assuré de 10 heures d'enseignement seulement, pas très loin de chez moi. Pas enthousiasmant mais mieux qu'il y a quelques jours. Je le ramène tout à l'heure, en repartant au collège. Ensuite? La suite sera ce que nous en ferons.

Avant de sortir ce matin, j'ai lu le long article que J. consacre aux 24 heures du Mans de roller. On y sent toute la joie qu'il y a ressentie, comme père et pour lui-même. Je suis toujours heureux de le voir vivant et passionné. Ça m'aide aussi.

Il fait de plus en plus chaud dans cette immense salle d'étude pourtant très fraîche dans la première partie de la matinée. Il faut dire que la chaleur animale (et parfois les odeurs) dégagée par plus de soixante candidats réunis là produit dans la pièce une sorte de microclimat à tendance équatoriale. D'ailleurs, à la fin de la matinée, il est possible que retentissent quelques cris et grognements directement inspirés de la faune amazonienne. Je pense pourtant que nos chers ados attendront plutôt demain pour s'exprimer aussi finement, juste avant de partir en vacances. Dire que je vais manquer ça!

Les élèves des Minimes et les nôtres sont mélangés pour le Brevet. Mais, si je ne connaissais personne, pourrais-je faire le différence? Mêmes vêtements, les filles nettement plus élégantes que les garçons, mêmes chevelures (avec, chez les mâles, une forte tendance à la tignasse épaisse), mêmes poses avachies. Il y en même un qui dort, la tête appuyée sur ses bras repliés sur le bureau. Les collègues d'ici qui surveillent avec moi sont sympathiques, sans plus. Rencontre occasionnelle dans le milieu professionnel, et qui n'aura pas de suite. Je pense bien sûr à -Y-, dont il me semble avoir compris qu'il a fait ses études ici. Il a dû connaître l'ancien père-directeur dont on m'a parlé et qui a été remplacé, depuis peu, par un plus jeune (laïc?) apparemment un peu froid et distant selon ma première impression.

Comme pressenti, la plupart ont déjà terminé. Pour eux, il s'agit d'une épreuve comme une autre, que l'on passe dans le même état d'esprit que celle des maths par exemple. Pas de recherche stylistique, les correcteurs s'estimeront contents si la copie n'est pas écrite en langage purement oral, pas de correction de brouillon. On se contente la plupart du temps d'un texte sans intérêt ni saveur, un exercice uniquement scolaire en somme. Combien en aurai-je lu et corrigé dans ma carrière, de ces textes insipides bourrés de fautes d'orthographe ou de syntaxe, où l'on sent la ficelle apprise en classe et l'ennui pour ce type d'exercices? Des centaines, des milliers de pages. Une Bible de "à la va comme je te pousse" dont les annotations n'auront même pas été lues et, si elles l'ont été, n'auront pratiquement jamais été prises en compte.

Je ne suis pas pessimiste en disant cela, simplement objectif et sans illusions inutiles sur ce qui se passe souvent aujourd'hui dans l'enseignement: on apprend des trucs, des façons de procéder, des moyens de réussite face à telle ou telle tâche, jamais (rarement?) on n'éduque au plaisir simple et gratuit d'un texte, à la joie d'une pensée, la douceur d'une atmosphère. Le seul moment, cette année, où j'ai parfois provoqué ce plaisir, cette joie, cette douceur dans l'attente, c'est au cours de certains ateliers-écriture ou quand, abandonnant ma progression pour une parenthèse que j'aurais voulu courte, je me suis laissé aller, entraîné par mes goûts, mes passions, mon enthousiasme pour tel ou tel point. Et là, j'ai vu des corps immobiles, des gestes inachevés, des yeux pétillants, un frémissement d'écoute, perceptible comme celui d'un enfant à qui son père, dans le lit le soir, raconte une belle histoire. Ce sont ces souvenirs-là que je garderai une fois à la retraite. Mais d'aujourd'hui, sans doute, il ne restera rien.

lundi 29 juin 2009

Bilan et perspectives

Dernier jour avec l'ensemble de mes collègues. Demain, début du brevet. Nous avons travaillé comme des fous. Pas une minute pour photographier quelques regards intéressants à mettre chez Flickr. Ce qui est étonnant, c'est la facilité avec laquelle tout le monde accepte de se prêter au jeu. L'un l'a même poursuivi en me demandant si je comptais m'en tenir à cette seule partie du corps. Je pense que, si la proposition vient de lui, je vais réfléchir!!!

Pas le temps aujourd'hui de ressentir cette nostalgie qui me prend d'habitude en fin d'année, devant quelque chose qui se termine irrémédiablement. Demain, peut-être, ou alors pas. J'ai d'autres passions aujourd'hui. Ceci explique sans doute cela. Je vais, en plus, retrouver mes collègues de français demain, et mercredi matin sans Nicolas que je vais chercher demain pour que nous partions ensemble au brevet. Il va me manquer, celui-là, l'an prochain. Le titulaire du poste, qui vient d'arriver, n'a ni son charme ni son ambiguïté. On fera avec.

Au final, une année remplie, comme toutes, épuisante, comme toutes, à la fois enrichissante et débilitante, comme toutes. Ce qui est nouveau, ce sont les jeunes collègues, tous très bien intégrés maintenant et partie prenante active de notre projet pédagogique. J'ai vraiment apprécié leur présence. Ils ne remplaceront pas certains de mes vieux potes partis à la retraite, mais j'aurai grand plaisir à travailler quelques années avec eux. En plus, ils ne se prennent pas au sérieux (bien qu'ils le soient dans leur travail) et aiment tous les rires et l'amitié. Je me sens bien au milieu d'eux.

L'atelier d'écriture de cette année s'est un peu terminé au forceps car les élèves n'ont pas l'habitude de fournir un effort aussi long, en particulier à l'écrit. Déjà, pour une simple rédaction, il est très difficile de leur faire établir un brouillon et, ce brouillon une fois écrit, de le leur faire modifier. Alors, une nouvelle policière d'une dizaine de pages, cela tient de l'exploit de la leur faire reprendre et retravailler. Mais à la fin, certains m'ont avoué qu'ils ne se seraient pas crus capables de cet exploit et qu'ils en étaient très fiers. D'ailleurs six exemplaires de leur production resteront dès la rentrée en exposition au CDI. Quand les élèves concernés l'ont appris, j'ai eu la nette impression que le roi n'était pas leur cousin!

Pendant l'été, d'importants travaux seront réalisés dans le couvent, touchant presque tous les lieux jusqu'à présent consacrés ou à la communauté ou à l'enseignement. Les religieuses sont maintenant parties, les bennes de décharge se remplissent, les salles concernées se vident, les premiers coups de masse ont déjà résonné cet après-midi. J'aurais préféré qu'ils attendent un jour ou deux: je n'aime pas voir démolir tout ou partie d'une maison, même si c'est pour l'améliorer. Toutes les boiseries des couloirs, que je longe depuis tant d'années, j'aurais préféré ne pas les voir éventrées par une bande de sauvages pour qui elles ne représentent rien. Là aussi, on fera avec.

Il me reste à organiser un peu mon été. Sans doute ne vais-je pas beaucoup bouger et profiter, comme l'an dernier, de la ville, très agréable en cet saison. J'ai déjà le programme de "Tout l'monde dehors!" et des "Dialogues en Humanité". Un petit tour dans la Creuse, un autre en Savoie et Haute-Savoie, peut-être un passage dans le midi, des siestes, du soleil sur ma peau, de la lecture, des photos,.... Que du plaisir! Je sens que je vais aimer.

dimanche 28 juin 2009

Méchoui

La dernière fois que j'ai pris la route de la banlieue est, il pleuvait des cordes. C'était, je crois, à la fin de l'hiver, début mars. Aujourd'hui, sous un soleil de canicule, elle semblait presque humaine, cette plaine envahie de hangars et de panneaux publicitaires. Et ses grandes lignes droites étaient désertes. Encore plus difficile de respecter les cinquante à l'heure imposés par le code de la route.

J'étais invité par Pierre-Jean et Yveline à un méchoui sensé accompagner la cérémonie d'un pacs entre eux deux. Le pacs a été renvoyé à l'automne mais le méchoui est resté.
Nous étions une soixante de personnes abritées du soleil, mais non de la chaleur, sous un barnum aux rayures vertes et blanches. Comme d'habitude, j'ai eu du mal à entrer dans l'ambiance: tous ces gens inconnus, un grand nombre, m'impressionnaient. Si je me débrouille assez bien pour le contact individuel,je n'ai pas l'art de l'approche de groupe. Je crois aussi, pour être honnête, que ça ne m'intéresse pas vraiment.

Et puis, on m'a servi un verre de "marquisette", mélange de champagne et de divers fruits servi très frais. Ce n'est pas le fait de boire qui délie les langues mais le geste d'offrir et de recevoir, et ensuite de se tenir debout, un verre à la main. J'ai remarqué alors un homme qui ressemblait étrangement à l'un de mes collègues. Renseignement pris, il s'agissait de son frère. et quand je me suis présenté à lui, il m'a répondu, en toute simplicité: " Moi, c'est E., et voici mon ex-femme et mon futur mari."

J'ai mis une demi-seconde à comprendre que je n'avais pas mal entendu. Lui, sans doute devant ma surprise visible, arborait un sourire resplendissant. Alors, je lui ai dit que moi aussi j'avais vécu longtemps avec Pierre, que nous n'avions pas eu le courage d'abord, le temps ensuite, de nous pacser et que je trouvais superbe sa franchise et sa décontraction. S'en est bien sûr suivie une longue discussion, d'abord debout puis assis pour manger ce mouton enfin cuit et beaucoup rire avec un petit groupe de gens qui, visiblement, se connaissent depuis très longtemps.

J'ai quitté la table à plus de seize heures, alors que le repas n'était pas terminé. Je voulais rentrer chez moi avant la fin de la fête, n'en garder que les moments animés et aussi pouvoir me retrouver dans mon univers, me reposer également.
Je suis passé déposer des fleurs sur la tombe de Pierre ce matin. Comme d'habitude, j'ai frotté mes mains à la lavande qui y pousse. Il faisait beau, dans le ciel et dans ma tête. Il fait beau, encore, pour moi en ce début de nuit.

Vivant.

28 Juin, Saint Irénée. Quatrième anniversaire de la mort de Pierre.

J'ai envie de reprendre les paroles de ce lyonnais d'adoption que Pierre avait mis en exergue de ses images d'ordination: "La Gloire de Dieu, c'est l'Homme vivant." J'ai tout fait, durant ces quatre années, pour rester vivant, malgré tout, et je crois y être parvenu.

Merci à ceux qui m'ont aidé à maintenir ce cap.

In humo

(Samedi)

La terre est argileuse, saignée à l'aval des vignes, dans le pays de pentes. Au fond du trou, le coffre de bois clair qui la cache, déjà souillé des graviers arrachés par les cordes. Tout est dit quand nous arrivons. Il ne reste qu'un dernier adieu - pour moi rien: elle n'est pas là - et le petit chaton blond, comme le bois du coffre, qui s'est égaré, à peine en vie, au pays des tombeaux.


Les hommes sont dignes, les femmes ont vieilli. Ils ont parlé le matin, dans la chapelle illuminée où je venais d'apporter les fleurs. Témoignages courts ou longs, émouvant l'un, cérémonieux l'autre. Chacun un bout de son être. Nul ne l'a dite en entier. Je ne cachais pas mes pleurs. Christophe a pris ma main dans la sienne. Je l'ai embrassée, cette main qui s'est déjà tendue pour moi il y a quatre ans. Contact du frère profond, plus fort que le plaisir.

Apaisement de la communion. La messe est dite. Il faudra vivre sans elle, sans lui et lui et d'autres. Elle dort dans mon pays, côté soleil.

vendredi 26 juin 2009

Momentini

- Un repas convivial dans la cour du collège avec les anciens et les nouveaux collègues, dont certains sont des amis. Nous avons évoqué plusieurs fois Kicou mais rien de lourd, contrairement à ce que je craignais. Une dernière soirée avec Nicolas, qui m'a dit au revoir à sa façon à lui: tendre sans vouloir l'avouer. On a tous les deux fait semblant de ne pas vouloir se faire prendre en photo par l'autre.

- Un après-repas dans un bar des bords de Saône où j'ai accepté d'accompagner la jeunesse parce qu'on m'avait dit, pour me convaincre, que j'étais "l'esprit jeune du collège". Ça m'a fait plaisir, même si c'est largement flatteur, et, je sais pourquoi, j'ai tout de suite pensé à Kicou. Je me suis senti bien avec eux. Quelque chose qui continue.

- Un retour plus délicat avec un collègue qui avait perdu ses clés de voiture. Il a dû passer la nuit chez moi, dans le petit lit de l'autre chambre, qui furent mien et mienne il y a longtemps maintenant. Nous avons retrouvé le trousseau ce matin dans la voiture de celle qui nous avait conduits. Nuit courte donc parce que nous avons été aussi bavards l'un que l'autre.

Voilà le menu d'hier soir. Pour aujourd'hui, ce fut journée pédagogique: matinée merdique (pardon, mais il n'y a pas d'autres mots), à pagailler sur des détails mal préparés, repas après apéro offert par une nouvelle agrégée (où j'ai retrouvé le bel Antony, qui, lui aussi, vieilli), après-midi productif et studieux. Et l'on remet ça lundi.

Grains de riz

Toute la journée, il s'est donné, à travailler, à faire le pitre, à vouloir faire rire les autres en disant tout ce qui lui passait par la tête, sans trier, plaisant, choquant, lassant. C'était ça ou le trou. En face de lui, une seule l'a compris.

Il est fatigué des quelques heures de sommeil, à peine, et du brouhaha des salles de réunion. Il a voulu dormir. Il l'a fait et ne s'en est senti que plus lourd. Écrire, ça le sauve, mais c'est vite fait. Ensuite, il faut affronter la soirée. Il en a peur. Il reste encore le repas. Et après?

En ouvrant le réfrigérateur, il retrouve un restant de riz dans un petit plat rond, cuisiné hier. Et la présence est là, réconfortante, douce. Il n'est plus seul. Le grain du riz comme un grain de peau sur l'épaule qui accueille. Il peut repartir.

Ascenseur

Penser que Kicou prend l'ascenseur pour là-haut avec Michael Jackson et Farrah Fawcett m'amuse beaucoup. Quand j'ai eu cette idée en tête, à midi à table, et que je l'ai communiquée à mes collègues, nous avons tous beaucoup ri, en hommage, en émotion.

Je suis sûr qu'elle les a d'emblée mis dans sa poche et qu'elle a déjà des tas de projets à monter avec eux. Demain, on te mettra en terre, Kicou, mais ta vitalité, on n'est pas prêt de l'éteindre. Pour moi, la plus grande, c'est toi.

Hiroshima, fleurs d'été

Dans les trois récits réunis dans ce volume, Tamiki Hara raconte par petites touches sensibles les événements qui ont précédé et suivi le largage de la bombe atomique sur Hiroshima, le 6 août 1945 ainsi que cette journée d'été apocalyptique.

Il nous fait appréhender, par l'histoire de sa famille proche et la sienne propre, le drame de ce pays au moment où il se découvre dans le camp des vaincus, en but à la dure loi de vainqueurs. Ainsi voit-on le peuple affolé de la ville s'enfuir de la cité vers des lieux moins urbanisés à chaque alerte nocturne, la façon dont est organisée la défense passive et la désorganisation de toute une société et de toute une industrie.

La description de ce 6 août est bien sûr éprouvante et rendue plus proche et plus terrible dans son horreur par le parti pris de le raconter d'un point de vue intérieur, personnel, celui de ce "je" qui découvre peu à peu l'immensité de la catastrophe. Pas une seule fois dans les premières pages n'est utilisé le mot bombe, car "je" ne sait pas qu'il s'agit de cela. Aux pages sur la destruction des immeubles, des ponts, des végétaux et sur l'épouvante des cadavres jonchant les ruines succèdent celles du désespoir des survivants, blessés ou non, qui peu à peu décèdent dans d'atroces souffrances sans comprendre pourquoi leur corps se tord et brûle ainsi.

En 1951, Tamiki Hara, lui-même survivant de l'enfer, se jettera sous les roues d'un train de banlieue alors que d'autres victimes continueront pendant de nombreuses années à mourir de ce mal largué du ciel.

Je partis avec mon autre frère pour la digue de la rivière et nous pressâmes le pas en direction du pont provisoire de Temma. Le cours d'eau à côté de nous était maintenant tout noir et au milieu des ruines ravagées par l'incendie qui progressait sur l'autre rive, on ne voyait pas de lumière. Le chemin obscur et plutôt froid était long. Nous sentions flotter l'odeur de mort qui arrivait on ne savait d'où. Aux alentours restaient encore, innombrables, des corps écrasés sous les maisons qui n'avaient pas été enlevés, et cela faisait déjà longtemps que je savais ce genre de lieu propice à l'apparition de vers, mais les décombres noirs comme du charbon, lugubres et déserts, semblaient toujours menaçants pour la population. Soudain, j'entendis vaguement les pleurs d'un bébé. Ce n'était sûrement pas une erreur de mon oreille, car à mesure que j'avançais, cette voix devenait de plus en plus distincte. Énergique, triste, mais quelle voix innocente et naïve. Dans les environs, des hommes avaient déjà repris leur vie et même les bébés pleuraient! Une sensation inexprimable me déchira les entrailles.
(Trad. de Karine Chesneau)

jeudi 25 juin 2009

Conclusion

Tout à l'heure, il y aura les discours, quelques ronds de jambe, la grand messe conviviale des six établissements réunis autour d'un buffet, les retrouvailles de collègues que l'on voit rarement, parce qu'ils travaillent ailleurs ou parce qu'ils sont en retraite, célébration de la fin d'année scolaire où je connais de moins en moins de monde et où maintenant certains ne me connaissent pas.

Il y a quatre ans, presque jour pour jour, j'étais dans la chambre de Pierre, vivant avec lui les derniers instants en commun. Cette année, c'est Kicou qui est partie. J'ai eu la chance d'échanger une dernière fois avec elle lundi, des paroles en forme d'au revoir, en rien morbides et pourtant définitives. Je n'avais pas eu ce cadeau avec Pierre dont l'esprit ne répondait plus.

Je vais sans doute être assailli de remarques, de questions, de regrets, de condoléances. J'espère que je n'aurai pas à raconter interminablement ce que je sais, que chacun saura se tenir. Les proches,, les amis, j'en suis sûr: ce fut déjà le cas ce matin. Mais les autres. Il y a des lourds aussi chez les enseignants.

Ce matin, une collègue m'a pris le bras, dans un recoin du couloir où nous étions seuls et m'a dit: "Garde le meilleur.". Je crois que maintenant je saurai. J'ai dit que Kicou, qui était croyante, n'avait plus peur maintenant. Pourquoi serais-je effondré? Elle va me manquer,terriblement, comme Amédé me manque toujours. Je n'ai plus ces deux bâtons qui m'ont aidé à tenir debout, avec qui j'ai tant partagé. Mais il est temps que j'aille seul, au milieu des autres, qui peut-être ont eux aussi besoin de moi. Est-ce une évidence de la foi retrouvée? Je n'en sais rien.

Allez, un peu de parfum et les mains dans les poches (où il y aura mon appareil photos)!

mercredi 24 juin 2009

Plus peur

Kicou est morte ce matin. Elle n'a plus peur.

mardi 23 juin 2009

Manuel

Ça y est: nous avons fini par nous décider sur le choix du nouvel manuel de français de sixième. Il n'en restait plus que deux en course. Un d'abord un peu dur pour un élève en difficulté de lecture: les textes y étaient intéressants mais présentés de façon trop serrés. L'autre, tout aussi sérieux dans son contenu, plus classique mais plus espacé.

Nous avons choisi le classique. L'autre m'avait pourtant emballé en ce qui concerne le choix des illustrations, très variées et inédites, pas de celles que l'on voit traîner dans tous les manuels. Ce bouquin respirait l'intelligence. Il a été jugé trop intellectuel. Je sais que je vais souvent le regretter.

En entendant, l'école est (presque) finie!

Le neveu

Un Mitterand dans le nouveau gouvernement Fillon. J'en connais un qui n'a pas fini de se retourner dans sa tombe!

Ne partez pas.

Hier après-midi. Il y avait un petit écriteau sur la porte de la chambre: "Si elle dort, ne la réveillez pas". J'ai attendu dans le couloir l'arrivée de Marie-Claire. Je l'avais prévenue de l'urgence, elle s'était libérée.

Quand nous sommes entrés, elle avait le corps droit et la tête penchée du côté que je ne voyais pas. Les stores de la fenêtre donnant sur la rue étaient baissés, la pièce était plongée dans la pénombre. J'ai cru un instant qu'elle était partie puis je me suis souvenu de l'écriteau: elle dormait. J'allais faire machine arrière quand j'ai vu qu'elle avait les yeux ouverts et peu à peu, elle a tourné la tête vers moi, comme sortie d'un long tunnel de méditations, l'air perdu de quelqu'un qui retrouve la réalité. Elle mit un instant à me reconnaître puis à voir celle qui était restée derrière moi. Son visage changea alors et sans doute exprimait-il pour elle une joie intense qu'elle parvint plus tard à traduire en mots. Mais à ce moment-là, c'est un rictus que je découvris sur sa face, comme si une douleur ancienne se réveillait.

Marie-Claire s'approcha et pendant leurs retrouvailles, j'arrangeai les sièges et les tablettes autour de son lit pour nous installer. Elle m'embrassa ensuite, longuement, à petits coups, comme on boit après une course qui nous a déshydratés. Ses premiers mots, à peine audibles, répétés en essoufflement, furent: "Ne partez pas! Je ne veux pas partir. Je vous aime tant."
Alors, quand nous l'eûmes rassurée, elle voulut organiser l'instant, pour que tout soit parfait, comme elle l'a toujours fait quand elle recevait. Elle me donna un livre et me le dédicaça, elle voulut à tout prix retrouver une lettre qu'elle avait écrite pour ses trois fils, "elle est dans une chemise mauve", et nous fit promettre de la leur donner si Georges oubliait son existence.

Puis elle me demanda de l'eau, un peu plus d'eau: "Ils ne veulent pas que je boive trop, va chercher un autre verre et tu diras que c'est pour toi." Je savais qu'elles avaient à parler toutes les deux. Je les laissai. Moi, j'ai souvent été seul avec Kicou. Quand je revins dans la chambre, elle me prit la main, et dans l'autre celle de Marie-Claire. "La porte est fermée, hein? On peut tout se dire, on peut tout se dire." Elle répétait toutes ses phrases deux fois, comme si elle n'était pas très sûre de les avoir bien prononcées. Alors, elle dit:" J'ai peur de mourir", et ne le répéta pas.

Dans le couloir, en partant, j'ai demandé à Marie-Claire de ne pas pleurer, pas devant moi.

Le courage qu'il faut pour dire: "J'ai peur de mourir.". Si on le dit quand on sait que l'on va mourir. L'humilité, la preuve d'amour partagée avec d'autres, avec si peu d'autres. Pourrais-je le dire, moi, aussi simplement, avec autant d'effroi et autant de conscience, quand ce sera mon tour? Kicou donne. Elle m'a encore fait ce cadeau hier.

Tout à l'heure, j'ai eu un message de Marie-Claire sur mon téléphone portable. Elle est allée, comme prévu, passer un moment avec elle cet après-midi. "Elle n'est déjà plus là, elle ne parle pas, elle a de grands soupirs...."

lundi 22 juin 2009

Et puis il y a eu les Invites de Villeurbanne. Quatre jours de fête dans les rues et sur certains sites de la ville. Ce que j'en avais vu l'an dernier m'avait beaucoup plu, j'y suis donc revenu cette année. Ces festivités ont duré quatre jours, du 17 au 20 juin, je n'ai assisté, avec J. et une partie de sa famille, qu'à certains spectacles du samedi.

D'abord, en arrivant, une fanfare de cinq musiciens arborant de très beaux costumes de mongols qui a revisité la musique de Led Zeppelin pendant 3/4 d'heure avec une prestance et une bonne humeur très appréciable, mêlant quelques moments de rire à des séquences plus sérieuses. Un pur bonheur. Leur nom: Quelques fiers Mongols, tout simplement.

Ensuite, ce que, je crois, j'ai préféré de la journée: Riez sans modération, de Réverbère. Ce monsieur, de noir vêtu et accompagné au piano par un acolyte tout aussi endeuillé, commence par se promener sur une immense traîne rouge qui s'étale sur le pavé villeurbannais comme une tache de sang. On entre alors de plein pied dans son univers de burlesque à la Buster Keaton pour n'en ressortir qu'une heure plus tard, avec des mâchoires un peu douloureuses à force d'avoir ri. Prenant à parti le public, le faisant participer à sa scène sans que jamais ce ne soit forcé, il s'installe parfois lui-même au milieu des spectateurs pendant que le spectacle continue sans lui. J'ai beaucoup apprécié la joie des enfants qui se prêtaient volontiers au jeu et l'humour toujours fin des spectateurs adultes mis à contribution. Chose rare dans ce genre de spectacle: jamais de vulgarité, ni d'un côté ni de l'autre. Quand il s'est arrêté, j'avais complètement oublié que je me trouvais au milieu d'une rue de Villeurbanne.

Ensuite un petit tour sur la place du marché où Groupenfonction, de jeunes villeurbannais s'en donnaient à cœur joie dans un spectacle de chansons en play-back: Eminem, Radiohead, .... Là aussi, ça aurait pu être n'importe quoi. Or, c'était excellent.

En revenant sur l'avenue Henri Barbusse, nous avons rencontré la noce d'Ilotopie, défilé de spectres blancs qui s'installèrent bientôt dans des cages devant l'escalier central de la mairie et commencèrent à manipuler de la mousse de couleur ( d'où le titre: La Mousse en cage) qui, peu à peu, durcit et figea leurs gestes dans le noir, dans le bleu, dans le rouge, dans le vert. Tableau que, personnellement, j'ai trouvé de plus en plus morbide au fur et à mesure de sa mise en place, mais images idéales pour la photographie. Tous ces spectacles dont je parle ici seront d'ailleurs ce soir chargés sur Flickr.

Un très rapide tour à l'école Anatole-France ou Le Samu donnait Et pourquoi pas...?, qui n'a pas su nous retenir, et bises d'au revoir puis retour au bercail pour enfiler une tenue plus chaude.

Le soir, après un repas chez Jean-Claude en compagnie de Frédéric, nous sommes, malgré le vent frisquet, ressortis dans les rues pour assister au final du centre ville: Mécanique vivante, Le Chat des Sirènes. Ces sirènes sont celles d'alerte qui résonnent dans les villes françaises à midi tous les premiers mercredis du mois. Mais autant le final de l'an dernier consacré à l'Odyssée était intelligent et réussi car à la fois culturel et populaire, autant je n'ai pas aimé le peu que j'ai vu de celui de cette année. D'ailleurs, la forte odeur d'essence et les décibels poussés un peu trop à fond ont très vite eu raison de notre patience.

Mais il est un spectacle dont je n'ai pas encore parlé et qui pourtant est permanent durant ces journées de fête: c'est celui du public, de tous ces gens qui déambulent, qui passent et qui s'arrêtent ou pas, pour un instant ou pour toute la représentation, qui ont amené avec eux leurs enfants, leurs amis, leurs voisins, et forment, tous réunis un beau kaléidoscope toujours changeant de visages, de silhouettes et de démarches qui, bien sûr, m'ont tout autant attiré l'œil que les représentations officielles. Excellente journée donc. Je compte bien y retourner l'an prochain.

dimanche 21 juin 2009

Après-midi rose

Samedi matin, j'ai préféré ne pas aller courir avec Stéphane I., ma douleur aux fessiers s'étant transformée dans la jambe gauche en quelque chose évoquant de loin une sorte de sciatique (remarquez mes bémols, je ne cherche pas à me faire plaindre). Ou peut-être simplement le coup dur de la veille s'était-il métamorphosé chez moi, comme c'est souvent le cas, en tension musculaire intense, source de douleurs.

Mais, comme je ne peux décidément pas rester enfermé quand le soleil brille, je me suis tout de même décidé à aller faire une petite promenade décontractante (et elle le fut) au parc de la Tête d'Or. En ressortant par la porte du lycée, j'ai découvert un camion que des messieurs fort regardables ornaient, à grand renfort de rires, de ballons aux couleurs claires et principalement roses. Je venais de découvrir le point de départ du défilé de la Gay Pride lyonnaise qui devait avoir lieu l'après-midi. Un policier très aimable et souriant m'indiqua les horaires en me conseillant d'arriver un peu avant, vue la foule. Un habitué? Je suis rentré à vélo, ai pris un repas rapide et à 13h45, j'étais sur place. Une heure plus tard, j'avais vu passer l'ensemble des chars et des participants.

Que dire? D'abord que je suis content d'avoir, après la tentative manquée de Montpellier, pu voir de quoi il s'agissait. Ensuite que j'ai été étonné en bien: je m'attendais à un défilé de culs à l'air se dandinant comme canards ou pintades, ou à une ambiance survoltée dominée par les cris suraigus de folles que je respecte mais à qui je ne donne pas le droit de me représenter. Rien de tout cela ou presque. Au contraire, une majorité énorme de gens comme vous et moi, inidentifiables au premier coup d'œil dans la rue, des gens calmes et souriants, des gens responsables brandissant des banderoles ou des panonceaux aux messages humains et en rien provocateurs (sauf pour des extrémistes pervers), des hommes et des femmes, de tous âges, même si beaucoup de jeunes. Tout ce rassemblement de bonne humeur et de franche décontraction m'a beaucoup touché et il s'en est fallu d'un poil que je ne me joigne au défilé, même si le mot "Fierté" ne me convient toujours pas. Mais j'avais rendez-vous avec J., pour d'autres festivités à Villeurbanne et j'ai réenfourché le vélo rouge de la ville, toujours avec le même sentiment de liberté et de légèreté.

Deux choses encore sur ce début d'après-midi:
-des jeunes gens distribuaient des prospectus informant sur la nécessité d'utiliser un préservatif. Le mec en a donné à tous mes voisins et a semblé ne pas me voir. Un peu vexé, je lui ai réclamé ce papier. Comme si mon âge m'empêchait d'avoir des activités sexuelles! Ou alors pensait-il que je devais être au courant! Quelques minutes plus tard, la jeune fille qui proposait les mêmes papiers me l'a tendu, elle, sans marquer une seule seconde d'hésitation. Quand je vous dis que les femme sont plus intelligentes que les hommes. Ou plus délicates.
- dans tous ces participants, un seul visage connu, salué de loin. Selon l'humeur, je peux conclure de deux façons: soit que décidément, je suis "out" et ferais mieux de penser à ma future retraite, soit qu'il me reste encore un monde fou à rencontrer, toute une foule de gens avec qui faire connaissance. Personnellement, je choisis la deuxième option.
P-S: Mes douleurs avaient, entre temps, quasi totalement disparu! Dé-con-tra-ction!
Re P-S: Je voulais faire aussi un billet sur le reste de l'après-midi consacré aux "Invites" de Villeurbanne, auxquelles j'assiste depuis maintenant deux ans. Mais pas le temps. Demain. Je préfère commencer mon chargement de photos sur Flickr. Allez les voir en cliquant, dans la colonne de droite sur "mes photos": vous aurez déjà une idée!

Ballet noir.

Par où commencer, entre la soirée du vendredi, la journée du samedi, celle de dimanche, les photos des Invites 2009 de Villeurbanne à poster sur Flickr. Je n'aurai jamais le temps de tout faire ce soir.

Vendredi, soirée éprouvante: ce qui aurait dû être un plaisir s'est bien vite transformé en stress. Complication d'abord de la sortie de l'hôpital pour Kicou, que l'on avait autorisée à assister à Don Quichotte (Minkus/ Petipa. J'en parlerai après) donné par les ballets de Saint-Pétersbourg à la Bourse du travail. Finalement, un taxi fut appelé, les places initialement réservées au balcon changées pour d'autres à l'orchestre, seul accessible pour les fauteuils roulants. Au premier entracte, Kicou a voulu se rendre aux toilettes où elle a été prise d'un malaise impressionnant: pâle, glacée, avec un mal de ventre épouvantable (la morphine ne faisant plus effet). Les trois amis qui l'avaient accompagnée ont fait appel aux pompiers pour la rapatrier aux soins intensifs de l'hôpital où elle se trouve. Mais l'hôpital n'ayant pas de service d'urgences, les pompiers ont refusé et l'ont dirigée sur St-Luc/St-Joseph où il lui fallut encore patienter près d'une heure avant qu'un médecin prévenu de la gravité de la situation n'accepte le transfert à Villeurbanne.

Pendant ce temps, ma sœur et moi, restés dans la salle pour surveiller les vêtements des autres, nous n'étions informés de rien du tout. Quand l'une des amis est remontée les récupérer, elle nous a demandé de rester et de vérifier, lorsque la salle s'éclairerait, si rien n'avait été oublié. Nous voici donc seuls tous les deux, sans informations, sans possibilité d'en avoir avant la fin du spectacle, voir avant le lendemain. J'avoue que la situation ne m'a pas permis de regarder sereinement ce ballet qui m'a semblé pourtant bien dansé et bien mis en scène. Mais les soli successifs des différentes étoiles n'ont jamais réussi à me captiver au point d'oublier ce qui se passait pour Kicou et que je ne pouvais qu'imaginer.

Rentré chez moi, je n'ai pas pu dormir. La veillée s'est prolongée fort tard. J'ai eu bien sûr depuis des nouvelles: le détail des épisodes que je viens d'évoquer et surtout l'état pitoyable de Kicou. Je ne lui ai pourtant pas rendu visite ce week-end (pour elle: repos et famille) et irai demain après-midi avec une amie commune que j'ai prévenue de l'état critique de ma vieille complice. Je crois que je vais bientôt la perdre.

vendredi 19 juin 2009

Activités

Le mois de mai est celui des ponts dans le calendrier civil, le mois de juin semble vouloir être celui des trous dans l'écriture de mon blog. Jamais auparavant je n'en avais été absent autant de soirs consécutifs. Mais loin d'être les révélateurs d'une certaine lassitude, ces trous sont au contraire la manifestation d'une reprise d'activités vespérales et nocturnes qui s'enchaînent à un rythme plus soutenu et me prennent le temps nécessaire à l'écriture.

Au début du mois, ce fut le week-end prolongé chez Lancelot et Tinours, puis quelques soirées restaurant un peu tardives, enfin hier soirée théâtre, en compagnie de J.

Dans un petit local, une flickresse, Lollah, donne avec des amis une soirée comédie fort réjouissante et drôle. Le titre: Un dimanche en famille, une histoire de fantôme(s) un peu embarrassant(s). Plaisir de rire sans contrainte et de faire, au cours du pot qui a suivi, la connaissance d'une femme simple et conviviale. Nous avons passé une très bonne soirée. Pour ceux que cela tente (et je le leur conseille), c'est au 3 rue Raymond, dans le 1er arrdt, sur le plateau, tout près du boulevard. L'endroit s'appelle Les Pentes Ateliers Théâtre. La pièce est encore donnée ce soir, demain soir et le mercredi 24/06, à 20h30. Un conseil: habillez-vous léger car il fait très chaud dans la salle.

Et tout à l'heure, je file voir les Ballets de Saint-Pétersbourg, à la Bourse du travail. Bonne soirée et peut-être à ce soir.

mercredi 17 juin 2009

Bac de français

Un plaisir ancien retrouvé cet après-midi, en faisant travailler S., le fils de J. qui, étant cette année en première, passe donc l'épreuve de français du bac. Le papa, assez inquiet sans se l'avouer à lui même (mais tous les parents ne sont-ils pas dans cet état au moment des examens de leur progéniture?) m'avait demandé de faire un peu un état des lieux et, malgré le fait que je n'aie pas fréquenté de près le programme de première depuis 1979, donc exactement trente ans, a tenu à ce que ce soit moi qui le fasse.
S. est donc arrivé avec son livre (mais ni papier ni stylo) et m'a paru sûr de lui, comme beaucoup d'adolescents d'aujourd'hui. Dans un premier temps, j'ai voulu tester un peu ses connaissances et me remettre à la page question programme et demandes spécifiques pour l'écrit du bac. Les choses n'ont en fait guère changé depuis trois décennies et je me suis assez vite retrouvé dans mon élément.

Je dois dire que le plaisir fut grand de renouer avec une certaine jonglerie intellectuelle avec, pour base, de vrais textes littéraires, dont, la plupart du temps, je suis assez éloigné en sixième ou cinquième. Ainsi ai-je retrouvé très vite cette sorte de curiosité fébrile qui me prenait lycéen ou étudiant devant un poème à décortiquer, à analyser, à faire parler, prolongeant le discours du poète par le mien propre.

S. me semble peu à l'aise sur les sujets de dissertation qui demande une connaissance assez précise des genres et mouvements littéraires. Il connaît son programme mais n'a pas le recul nécessaire (et je crois que ça ne l'intéresse pas de l'avoir) pour dominer son sujet. Il m'a dit se rabattre presque chaque fois sur le sujet d'imagination, "où je ne me débrouille pas trop mal", a-t-il rajouté, précisant qu'il y avait toujours obtenu la moyenne. Je ne lui ai pas dit le fond de ma pensée, mais il me semble que se contenter de la moyenne pour un garçon intelligent comme lui, c'est un peu dommage. Je lui ai en revanche conseillé de faire attention à ce genre de sujets qui peuvent être très casse-cous parce qu'apparemment plus simples.

Puis, pendant que je nettoyais mon balcon et débarrassais mes plantes des feuilles et fleurs séchées, je l'ai mis au travail sur un sujet de commentaire: un poème d'un auteur baroque que je ne connaissais pas, du tout début du XVII° siècle, sur le thème des "Vanités". Pour le tester, je l'avais auparavant un peu déstabilisé en lui précisant que ce qu'il venait de me dire d'un autre texte, de La Fontaine celui-ci, n'était en fait, à part une remarque stylistique intéressante, que de la paraphrase, un résumé du texte, en moins bien, bien entendu.

Je l'ai laissé travailler une quinzaine de minutes et puis nous nous y sommes mis, lui d'abord seul puis tous les deux, avec une espèce d'enthousiasme communicatif. J'étais pour ma part heureux de cette évolution car j'ai vu S. donner le meilleur de lui-même face à un texte qui, je le lui ai dit ensuite, et il pensait de même, n'avait pour moi aucun intérêt et me semblait même très lourd de symboles et de lyrisme noir. Comme quoi, on peut très bien faire un excellent commentaire sur un très mauvais poème! Et ça, les élèves ont toujours du mal à le comprendre.

Après avoir écouté quelques conseils méthodologiques plus généraux, S. est parti au bout de deux heures, comme je l'avais, moi, prévu, alors qu'il me disait en arrivant que ce serait sans doute un temps trop long pour ce que nous avions à faire. Nous avons même émis l'hypothèse de nous retrouver au moins une autre fois pour préparer l'oral de juillet, cette fois-ci.

Ensuite pour moi, tout autre occupation, en sacrifiant au rituel estival de la tonte de l'animal. Paré pour les beaux jours!

mardi 16 juin 2009

Plus que...

Bientôt, dans quelques jours tout au plus, ils seront inutiles et prendront la poussière au coin de mon bureau. Presque deux mois de repos, pour eux et pour moi. Et puis il faudra retracer les lignes de la première semaine, de la deuxième, de la....
Qu'est-ce que je disais? Ah oui, vacances!!!

Taquineries

Ce matin, au réveil, j'ai appris la nouvelle: revoir l'âge de la retraite ne serait plus tabou, selon Fillon. Ainsi serait-il question d'en repousser l'âge légal à 67 ans. Il y a quelque temps, j'ai déjà pris dans la poire quatre trimestres de plus, comme ça, sans crier gare.

Ça me rappelle un souvenir de mon enfance. A la vogue (fête foraine pour les non-initiés), il y avait au centre des manèges pour les petits un pompon qui pendait au bout d'une corde actionnée par le forain depuis le bord du manège. Le jeu consistait à attraper ce pompon, généralement tenu à la corde par une simple pince à linge, pour gagner un tour gratuit. Bien sûr, le forain appâtait un moment les bambins avant de consentir à le laisser prendre par tel ou tel. J'entends encore les cris de ceux qui le frôlaient ou le tenaient même, sans parvenir à le décrocher.

Ainsi de ma retraite. Plus j'avance, plus le nombre d'années diminue, plus je tends les bras vers elle et plus elle recule sans se laisser saisir, semble-t-il. Je voudrais simplement dire à Monsieur Fillon et à son grand patron que, s'ils se sentent l'humeur mutine et joueuse, je ne goûte plus guère, quant à moi, les taquineries qui durent trop longtemps. J'ai sans doute perdu mon âme d'enfant.

lundi 15 juin 2009

Question existentielle

Mais d'où sortent toutes ces beautés que l'on ne voit que l'été ?

C'est comme les belles décapotables rutilantes : on les remise quelque part pour l'hiver?

Et ils sortent aux premières chaleurs, déjà miel, déjà caramel, déjà dorés, déjà craquants, déjà découverts.

Glissement progressif

Rue du Vivier puis rue Duvivier. Mais attention, pas Julien Duvivier, qui a sa plaque dans le 3°, tout près de chez moi. Non, Paul Duvivier. Qui connait? Pour plus de renseignements, il faut aller voir ici.

Mais pourquoi avoir débaptisé ce bout de rue qui n'avait que son nom de beau, coincé entre des usines en démolition et les lignes de chemin de fer près de la gare de la Guillotière? Un nom qui m'évoquait le Moyen Age, les histoires de Renart se léchant les babines devant celui des moines gras et tentant de fourbir une ruse pour s'emparer de la nourriture tant convoitée.

Pour aller chez ma mère, je prends toujours cette rue, soit en voiture soit en vélo (et là, on se rend bien compte qu'elle monte quasi continuellement). J'ai même posté sur Flickr, il y a une semaine ou deux, quelques photos des locaux industriels avant qu'ils ne disparaissent totalement, et tenté de pénétrer de l'autre côté des voûtes, mais un panneau fortement dissuasif d'interdiction m'a fait y renoncer.

Le plus bizarre dans cette histoire, c'est que la rue Paul Duvivier existait déjà et que donc elle a purement et simplement changé de place. Pourquoi, s'il fallait à tout prix faire disparaître le vieux Vivier, ne pas choisir autre chose, quelque chose de neutre et de radicalement différent? Je ne comprends pas.

PS: J'ai voulu trouver plus d'informations sur la rue du Vivier (en deux mots), sur son histoire et ses origines. Je n'ai rien découvert que ce proposé plus haut. Quelqu'un parmi les Lyonnais a-t-il des lumières plus brillantes que les miennes?
PS: Merci à Olivier pour son lien, envoyé il y a quelques jours, justement sur un site consacré aux rues lyonnaises.

Orage

Tout à l'heure, l'orage grondait, il tombait de trombes d'eau. Je rentrais à vélo, complètement trempé, des soins palliatifs où Kicou a été admise vendredi.

Mon appartement était plongé dans l'obscurité. Je n'ai pas éclairé. J'avais perçu dans l'air quelque chose de mon enfance à la campagne, lorsque la nature s'exprimait sans tenir compte de nous, lorsque nous l'avions bien en face, sans le masque de l'éclairage urbain, des immeubles serrés et des phares de voitures. Il est rare d'éprouver cela en ville. Je l'ai surpris en rentrant chez moi. Même quand j'étais enfant, je n'avais pas peur de l'orage, j'ai toujours aimé ces manifestations violentes de la nature. J'étais le seul vélo à rouler dans les rues, j'ai failli glisser et tomber près de la Part-Dieu sur les rails du tram. Mais je n'ai pas eu peur, cela ne m'a pas arrêté: j'aime sentir la pluie frapper sur moi, me transpercer, je regrette toujours de ne pas être nu dans ces moments-là. Quand je me laisse faire par les éléments, il me semble être plus près de ce que je suis réellement, animal solitaire partie intégrante du monde brut.

Seules quelques lueurs éclairaient le salon et je le redécouvrais tel que je ne le regarde jamais sous la lumière électrique. Il avait une autre vie, la sienne propre comme si j'étais absent et qu'il retrouvait son vrai visage. Sur le ventre du piano, un reflet vacillait, le rendant vivant, maître de la pièce où les autres meubles totalement tapis dans l'ombre semblaient l'écouter raconter une histoire d'avant l'humain. Je me suis senti étranger, comme intrus chez moi, remis à une place lambda par toutes les autres formes de vie.

Comment exprimer plus clairement ce que j'ai ressenti? Peut-être était-ce aussi lié à ma course dans les rues inondées, moi même dégoulinant de pluie, peut-être y avait-il beaucoup de l'après clinique, de Kicou dans cette chambre entièrement refaite à neuf, avec des décorations au pochoir, tellement féminine, tellement trop féminine, alors que la mort est là maintenant, tôt ou plus tard. La dureté du monde, son mystère froid étonnamment me rassurent toujours dans ces moments de flottement. Je ne suis pas homme à me réfugier, après une épreuve, dans une chambre douillette ou dans des bras compatissants. Il me faut être seul et face à la pluie, à l'orage, au vent, à la nuit, à tout ce qui me dépasse mais dont la dureté me permet de m'accrocher, de retrouver un point d'appui solide. Après seulement, je rejoins l'humanité et j'éclaire la première lampe.

dimanche 14 juin 2009

V-S-D.

Une fin de semaine riche et bien remplie:
- vendredi soir: concert de J., très réussi.
- samedi matin: course à pied autour du lac de Miribel avec Stéphane I. Toujours aussi bonne osmose.
- samedi après-midi: position du lézard en compagnie de Stéphane (l'autre donc), sur la plage de Miribel. Inutile de dire comme c'était agréable.
- samedi soir: repas chinois et soirée avec Fred (l'ami Jean-Claude se faisant dorer dans le Languedoc-Roussillon). J'ai mangé comme quatre.
- dimanche midi et début d'après-midi: re Miribel re avec Stéphane pour re la position du lézard. Environnement plus familial que la veille.
- dimanche soir: conversation téléphonique avec André, qui m'appelait de Québec. Voir autre billet.
- tous les jours: ma mère (ma sœur étant en séminaire puis en Corse pour un mariage). Ciel variable.

Et je fais mon boulot quand, moi? Même pas honte!
Elle est pas belle, la vie?

Du Québec

J'allais tout à l'heure entrer dans mon bureau et m'installer devant l'ordinateur lorsque le téléphone a sonné, sur ma ligne France Télécom qui ne résonne que très rarement maintenant. Une pub? Trop tardif. Une erreur de numéro? Plus probable.

Pourtant la voix, inconnue, au bout du fil m'appelle par mon prénom, et je me souviendrai longtemps de sa première phrase: "C'est André, de Québec!" Pas une minute je n'ai eu à chercher dans ma mémoire à qui je pouvais bien avoir à faire, pas une seconde d'hésitation. A la place, une immense joie d'avoir retrouvé ce soir, un de mes plus vieux amis.

Alors, pendant qu'André parlait et me donnait des nouvelles de ses enfants, tous autour de la vingtaine d'années à présent, et de sa femme, qui vit maintenant en France, me passait par la tête une foule de souvenirs plus ou moins lointains mais tous agréables: la première rencontre, au lycée professionnel où nous avons enseigné ensemble une année ou un peu plus, un voyage en Haute-Savoie où nous avions retrouvé d'autres collègues et amis, eux totalement perdus de vue, nos appartements quasi voisins, les invitations d'André à partager ses essais culinaires, tous réussis et plus goûteux les uns que les autres, la soirée où j'ai appris que j'avais réussi le Capes et où, en l'absence de Pierre toujours ailleurs, je l'avais convié à partager mon repas: des quenelles dont la sauce Béchamel préparée par mes soins était plus épaisse que la spécialité lyonnaise, un autre repas, cette fois-ci en compagnie de Pierre, que j'avais mis la journée à réaliser, en téléphonant toutes les dix minutes à un cuisinier de Monteux qui se trouvait être mon amant à l'époque, des fous-rires, des échanges de points de vue politique, proches, des huit décembre autour d'une table, la crémaillère pendue dans la maison de campagne, près de Vienne, le mariage sur les contreforts de la vallée du Rhône. Et puis le dernier, de Québec celui-ci: la silhouette d'André devant le lieu où la chorale que j'accompagnais devait donner un concert le soir-même, André qui avait su et qui était venu.

Pour moi, c'est vraiment une grande joie ressentie ce soir. Nous avons dû abréger le coup de fil mais André doit venir fin août début septembre en France. Et là, nous allons nous voir. Je suis sûr que nous nous retrouverons comme si nous nous étions quittés hier et que les sujets de discussion ne manqueront pas. Il me tarderait presque d'être à la rentrée!

Rez-de-chaussée

Il est des livres rares dont il n'est pas besoin de dire quoi que ce soit tant ils se suffisent à eux-mêmes.

Rez-de-chaussée, de Erri de Luca est l'un d'entre eux. Publié chez Rivages poche, dans la collection Petite Bibliothèque, c'est un ouvrage d'une centaine de pages, petit par la taille, grand par la résonance, que je relirai sans doute progressivement, article après article. Car il s'agit bien d'articles publiés d'abord dans le supplément littéraire du quotidien Avvenire au cours de l'année 93-94 sous le titre générique de Scriptorium. De Luca dit peu apprécier ce titre imposé par les rédacteurs du quotidien, car c'est bien du rez-de-chaussée que leur auteur contemple le monde: " Rez-de-chaussée est mon seul point de vue sur le monde. Je n'ai regardé aucun panorama, je ne suis monté sur les épaules de personne, je ne me suis pas mis sur la pointe des pieds. Je n'ai eu que ma taille, pas très haute, d'homme."

Au fil des vingt-quatre articles proposés, De Luca s'arrête sur le conflit yougoslave, sur ses voyages en tant que conducteur de convois humanitaires, sur quelques mots de la Bible, sur les parois rocheuses à gravir, sur la beauté de Naples, celle qui échappe à tout tourisme. Et c'est beau. On peut avoir parfois un avis divergeant du sien, ça m'est arrivé, mais ça n'enlève rien à la rare qualité de l'ensemble. Le dernier article, en particulier, devrait être reproduit en entier pour vous donner l'envie de lire ce livre essentiel pour moi. Il porte sur les camps de concentration d'Auschwitz et de Birkenau et commence par ces mots: "Mir viln nisht shtarbn, nous ne voulons pas mourir. Cette phrase en yiddish criée par les orphelins du ghetto de Lodz alors qu'on les chargeait sur les camions pour Auschwitz, témoigne d'une chose simple, les enfants aussi le savaient. Le titre de cet article est " Je suis de nouveau là". C'est la traduction de l'allemand "Ich bin wieder da" mots "écrits sur une pancarte suspendue au cou des détenus qui avaient tenté de s'évader. Après les avoir tués on les mettait sur une chaise dans la cour, ce texte autour du cou: "je suis de nouveau là."

Il faudrait que tous ceux qui parlent sans cesse de la Shoa, dans un sens comme dans l'autre, lisent ce petit livre et en adoptent l'immense humanité.

vendredi 12 juin 2009

Écartèlement.

Avant qu'il ne sombre totalement et définitivement dans l'oubli, les bribes d'un rêve de cette nuit, sur le matin, que je me rapppelais parfaitement en ouvrant les yeux et qui s'est volatilisé dès que j'ai mis les pieds par terre.

Tout ce qu'il en reste, c'est le souvenir d'avoir été capturé (par qui?), et de m'être fait dénuder et attacher au sol, bras et jambes tendus, dans la position de l'écartèlement, le visage regardant le ciel. Était-ce le début d'un supplice ou d'une grand jouissance? Je n'en sais rien, mais j'étais bien en ouvrant les yeux: pas de sueurs froides, pas de cœur qui bat la chamade. Je crois même que je souriais.

Cœur à chœur

Ce soir, c'était chorale. Non, je ne chante pas, du moins pas encore, mais ça pourrait venir, j'en ai envie depuis longtemps.
Je reviens du concert donné par deux chorales de la région lyonnaise, dont celle de J.: une de Villeurbanne, De bouches à oreilles, et une de Rillieux, La Pastourelle.

Très bonne soirée, après une messe n°7 en Do Majeur "Aux Chapelles", de Charles Gounod un peu hésitante. Mais le reste fut d'excellent qualité, mené avec fougue et bonne humeur par une chef dynamique qui a su également éviter l'aspect statique de ces soirées par de petites astuces de mise en scène très bien pensées, en particulier sur la chanson de Gainsbourg, Les petits Papiers.

Un mélange d'airs anglais traditionnels, de musiques argentine, brésilienne, irlandaise, finlandaise et française, avec, à la fin, participation d'une salle enthousiaste qui, finalement, ne s'en est pas si mal tirée, elle non plus. Mais ce qu'il faut dire surtout, et qui accroit le mérite du succès de ce soir, c'est que cette chorale n'existe que depuis à peine un an. Etre capable de chanter ce qu'ils ont chanté au bout de quelques mois dénote un travail certain et un certain talent, c'est sûr.

J'ai toujours la joie au cœur (au chœur?) lorsque je sors de telles soirées. J'aime la musique mais par dessus tout la voix humaine. Et quand la joie est partagée, côté scène et côté salle, alors là! Merci à tous ces gens que je ne connais pas et merci à J. de m'avoir fait partager un de ses plaisirs.

jeudi 11 juin 2009

Motards

On peut commencer l'histoire de différentes façons.

Par exemple comme ça:

-Le motard avait fière allure dans sa combinaison de cuir noir. Je ne voyais que peu de détails de son visage mais il semblait avoir l'air sauvage que l'on prête souvent à ces conducteurs d'engins surpuissants. Je me mis à rêver qu'en le tenant par la taille, je me laissais emporter à la vitesse de l'éclair jusqu'à sa retraite urbaine où nous nous aimions follement.

Ou bien comme ça:

- Il m'a fait peur, ce con! Je ne l'ai même pas vu arriver derrière moi tant il allait vite. Et la limitation de vitesse, Dugland, elle ne s'applique pas aux motards? Et après ils viennent se plaindre d'avoir autant de victimes sur les routes. D'ailleurs à quoi ça sert un engin pareil en ville? Encore un qui veut épater la minette ou se bétonner une virilité un peu chancelante.

Ou encore comme ça:

- Comme il doit être bien sur sa moto! Comme il doit se sentir libre! Pendant que moi je croupirai longtemps dans l'embouteillage, lui, en se faufilant, aura filé loin. Je connais un peu cette griserie de liberté avec le vélo. Mais la moto, c'est autre chose: la vitesse, le vent. Tiens, il m'a même dit merci d'avoir serré le trottoir pour le laisser passer. Avant, je ne comprenais pas pourquoi ils tendaient une des deux jambes sur le côté. C'est pour remercier, parce que leurs deux mains sont occupées.

Ou encore la version pro, avec toutes les caractéristiques techniques de la moto, mais là, je ne suis pas au top, je vous laisse imaginer...

Mais elle se termine toujours de la même façon, cette histoire:

quand le (beau?) motard vient se poser à côté de moi au feu rouge, il faut toujours qu'il me mette son pot d'échappement sous le nez, exactement dans l'axe du vent qui l'apportera à la fenêtre ouverte de ma voiture. Et ça, ça, je n'aime pas du tout! Je n'ai même pas l'impression qu'ils s'en rendent compte!

mercredi 10 juin 2009

Ça chauffe!

Ça sent la fin de l'année: les jours rallongent, les jupes prennent le chemin inverse, à tel point qu'on est parfois obligé de rappeler, à l'école, devant une cuisse trop exposée ou un bas de dos trop apparent, que la plage, c'est pour un peu plus tard, là, au bout de la ligne droite.

Et la ligne, elle ne l'est pas trop, droite. Certains, sûrs de ne pas revenir l'an prochain, cherchent à pourrir l'atmosphère et à dégrader un maximum de matériel, d'autres ont décidé qu'ils avaient suffisamment travaillé pour cette année et qu'en conséquence, il était inutile de leur donner une leçon de plus, d'autres se font oublier, totalement amorphes sur leur chaise dont ils glissent dangereusement jusqu'à risquer la chute.

Les matins sont silencieux, surtout les lendemains de fête privée dans le sous-sol de la villa, pendant que papa et maman sont en voyage à l'étranger, les après-midi sont excités parce qu'on attend déjà le soir où on va pouvoir embrasser pour la première fois truc ou machin, et le voler à sa meilleure copine. C'est fou, d'ailleurs, ce qu'ils sont bisous cette année, nos élèves. On passe son temps, dans les couloirs, à attendre la fin d'une étreinte (permise si pas trop torride) pour rejoindre sa classe. Il y a même les coins chauds, les carrefours à la croisée des chemins où il faut parfois intervenir.

Côté collègues, ce n'est guère mieux. Pire même car, dans la salle des profs, l'ambiance n'est pas vraiment aux bisous. Il y a ceux qui ne retrouveront pas leur poste l'an suivant, ceux qui ont demandé une mutation, ceux qui ne parviennent plus à tenir leur classe et en rejettent la faute sur un manque d'investissement du collège dans la répression, ceux qui n'ont, comme les élèves, plus envie de travailler, ceux qui pensent déjà à leur emploi du temps de la prochaine rentrée et demandent tel ou tel jour de liberté pour pouvoir s'inscrire à un club de remise en forme physique ou de peinture sur soie, ceux qui frétillent comme des poissons dans l'eau au milieu de ces eaux troubles et rajoutent un peu de venin pour épicer la sauce, et j'en passe et des meilleurs, comme aurait dit notre cher grand Victor.

Et que fait votre Calyste au milieu de cette fourmilière qui s'excite en cercle fermé? Comme le reste de l'année: il évite comme la peste la salle des profs, y fait de furtives apparitions au moment où il la sait déserte, il lui préfère la salle à cafés, en dehors des récréations, et, pendant ces récréations, il descend dans le parc, derrière le bâtiment, et regarde travailler les ouvriers, en échangeant parfois quelques mots avec l'un ou l'autre. Il a toujours son appareil photos à proximité de mains, au cas où. Calyste se la joue tranquille et philosophe, car Calyste sait que le pire est à venir, jusqu'à fin juin, et il n'a plus envie, mais alors plus du tout, de participer à ces vaines querelles où personne n'écoute plus personne et où des gens à priori responsables se transforment en aboyeurs éructant leurs rancunes.

lundi 8 juin 2009

Calyste enfin libéré

Autant reprendre avec ma propre plume. On n'est jamais mieux servi que par soi-même.

Le soleil avait décidé de se montrer également le dimanche matin, ce qui donna une autre idée à mes infâmes gardiens: et si on m'emmenait à la mer? Ni vu ni connu: un petit coup je te pousse et Calyste est bon pour les poissons. Direction donc la grande bleue. Mais pour être bourreaux, on n'en est pas moins hommes et Tinours et Lancelot décidèrent de m'accorder une dernière faveur: je pouvais, si je le désirais, aller me recueillir avant le grand saut dans la magnifique cathédrale de Maguelone, tout au bout d'une langue sableuse qu'ils m'obligèrent à parcourir à pieds sous un astre de plomb alors qu'un petit train touristique en assure la liaison avec le parking.

Mais je sautai sur l'occasion de gagner encore quelques minutes d'une vie qui me paraissait d'instant en instant plus précieuse et c'est d'un bon pas que j'entamai la vingtaine de minutes de marche jusqu'à l'édifice que nous devinions au loin derrière les roseaux et les flamands roses (Oui, ma conscience, je t'entends, je rectifie: derrière une belle paire de fesses bien prises dans un mini maillot et par delà le drapeau arc-en-ciel qui flottait sur une guérite où l'on vendait, sans doute, des boissons rafraîchissantes.) Las, quand nous arrivâmes tout près de l'édifice sacré, on nous apprit que nous ne pouvions aller plus loin: un concert s'y donnait et l'on ne pouvait en déranger l'exécution, même pour une si noble cause que ma dernière prière.

Tinours, qui semble avoir plus de religion que son compère Lancelot, ne dit mot mais je vis bien que cela le contrariait. Tuer d'accord mais avec l'âme en règle: on n'est pas des bêtes, bon sang de bois! Il fallut pourtant gagner la plage battue par le vent et assommée de soleil où, tout à mes (dernières) pensées, je ne remarquai qu'à peine quelques magnifiques spécimen de mâles nus se dorant sur le sable. Dans un ultime sursaut de conscience, je décidai d'immortaliser leur pose sur mon appareil photos, afin que les générations futures sachent sans conteste quel esthète j'avais été ma vie durant, aimant l'art et la beauté plus que moi-même!

Cette dimension de ma personnalité avait sans doute échappé jusque là à mes tortionnaires car, lorsqu'ils me virent me servir de leur corps pour mitrailler la plage sans en gêner les beaux occupants, ils ne furent plus les mêmes. On me ramena sur les lieux de ma séquestration sans chercher à se débarrasser de moi. On me prépara un barbecue fort agréable sur la terrasse ensoleillée et calme (elle le redevint en tout cas après qu'un des deux sicaires eut fait son œuvre dans la maison d'en face où s'égosillaient trois petites pestes au bord de leur piscine. Quand il repassa le portail, aucun bruit ne traversait plus le chemin. Je ne sais pas ce qu'il a fait des corps.)

L'après-midi, on me plongea dans la piscine, non pour m'y noyer comme il avait été initialement prévu, mais pour me détendre, pour me laver de toutes les frayeurs que l'on m'avait créées pendant les deux jours les plus longs de ma vie. A aucun moment je ne fis remarquer que l'eau en était un peu froide, qu'elle sentait le chlore et que le vent qui s'était levé me glaçait les épaules (elle n'est pas très profonde, cette piscine: un grand gabarit en aurait sans doute à peine jusqu'à la taille). Après tout, ce bain partait d'une bonne intention et on ne doit pas décourager les bonnes intentions.

Ils me ramenèrent à la gare, en me faisant promettre de ne rien révéler sur eux ni sur leur lieu d'habitation. Je promis bien vite, résolu, c'est sûr, à ne pas tenir ma promesse. A cette condition, on me rendait ma liberté. Mais la divine Providence ne devait pas être avec moi ce jour-là car j'eus à affronter une dernière cause de stress, comme si ce que j'avais vécu jusque là ne suffisait pas! En montant dans le train, je me rendis compte que mon billet n'était pas valable: le guichetier de Lyon, grand étourdi sans doute, avait imprimé un retour pour le 7 juillet au lieu du 7 juin.

Mon sang reflua de mon corps vers je ne sais quelle extrémité: un mois avec eux! NON! D'ailleurs, ils semblèrent partager mon avis et me parurent rassurés lorsque je décidai de monter tout de même dans la rame de TGV et que l'on verrait bien en route. J'étais près à affronter n'importe quel contrôleur, n'importe quel poseur clandestin de traverses métalliques, n'importe quel voisin malodorant et ronfleur, ou bien jacassant dans son téléphone portable comme si les dernières nouvelles de ses sécrétions nasales intéressaient la terre entière. Je voulais rentrer chez moi!

Pourtant, quand je vis disparaître au loin les remparts de Carcassonne.. Non, ça c'est une autre histoire, mise en musique par qui, d'ailleurs? Quand je vis l'ocre des chemins et des maisons et les clochers à chignon métallique faire peu à peu place à des végétations plus soutenues et à des demeures d'autre façon, j'eus, allez savoir pourquoi, comme un soupir. Le complexe de Stockholm, sans doute. Étrange comme on s'attache, même à ses bourreaux. Je revoyais les yeux doux de Tinours, j'entendais les échos des grands éclats de rire de Lancelot et il me vint là, sur ce siège usurpé de ce wagon de TGV, une envie folle, irraisonnée, irraisonnable: les revoir, repasser avec eux quelques heures souriantes, à Lyon ou à Montpellier.

Alors, mes deux compères, si vous me lisez (et je sais bien que oui), sachez combien (et là je redeviens sérieux) j'ai apprécié de vous rencontrer, combien je me suis senti immédiatement à l'aise avec vous, combien nous avons encore de choses à partager avec le sourire. Pardonnez ces horreurs dites sur votre compte: elles ne sont en rien méritées, vous êtes merveilleux.... Ben oui, je l'ai dit, pas la peine de me labourer les côtes avec ton flingue. (Je ne savais pas qu'ils avaient un complice sur Lyon). Aïe, aïe, aïe!

Toute la lumière sur l'affaire Lancelot

Notre ami Calyste vient de me confier qu'il se trouve trop éprouvé pour poursuivre ainsi, en direct, la narration de son séjour cauchemardesque au bord de la grande bleue qui, pour lui, a eu ces deux jours la couleur de larmes amères. Je vais donc tenter de prendre sa suite, en essayant bien sûr de retranscrire aussi fidèlement que possible ce que, dans un souffle, il m'a confié avant de se pâmer dans un proche sofa.

L'après-midi du samedi, nos deux escogriffes avaient encore raffiné leurs supplices. Calyste perdant d'heure en heure des forces qui lui auraient été précieuses pour tenter d'échapper à leurs immondes tentacules, ils n'hésitèrent pas à le promener pendant des siècles (il me dit en avoir encore mal au dos) dans les rues de la ville où déambulait une faune bigarrée et cosmopolite d'où émergeaient principalement des joueurs de trombones et autres instruments à coulisse et à cordes simultanément, et quelques spécimens indécis qui venaient de participer à la Gay Pride, une sorte de défilé comme au 14 Juillet, mais pour les sans-culottes.

Le ciel déversa ses cascades sur la ville et ils ne renonçaient pas. Où voulaient-ils en venir, à la fin? Calyste les supplia, à genoux: - Achevez-moi, leur dit-il, à bout. Mais il ne parvint à tirer de leurs sombres faciès qu'un rictus de plus. Alors notre bon Calyste s'abandonna à son destin. Tel Sissi lâchement poignardée sur les bords du Léman et n'ayant pu compter sur l'aide de sa chambrière pour délasser un instant le corset qui compressait sa tendre poitrine percée d'une dague assassine (tiens, c'est joli!), notre tendre âme rentra en lui-même et mit en marche, à vitesse accélérée (sinon, c'était un peu long) les images de sa vie, depuis sa naissance, charmant bambin sur qui tous se retournaient tant sa grâce naturelle illuminait les lieux touchés par ses premiers pas, jusqu'à son adolescence, où même les boutons d'acné lui conféraient un charme supplémentaire et n'empêchaient pas en tout cas certains (oui, pas -taines, me demande-t-il avec insistance de préciser en se relevant à demi du sofa) de se retourner encore et toujours sur cet éphèbe callipyge, voire de le suivre dans quelque venelle sombre et, hélas, parfois malodorante, jusqu'à sa maturité, rayonnante de virilité tranquille, qui préférait se masquer un peu plutôt que d'éblouir ceux qui, malgré tout, continuaient à se retourner sur son passage, jusqu'à...

Veuillez excuser cette interruption de la narration. Je reçois à l'instant un coup de fil d'un certain Christophe, de Paris, qui dit en avoir assez de cette digression sur le passé glorieux et au combien sensuel de Calyste et voudrait que l'on en revienne à nos révélations fulgurantes sur le sieur Lancelot et Tinours le tout aussi pervers. Ce fidèle lecteur semble d'ailleurs prêt à nous confier quelques secrets supplémentaires sur le couple maudit qu'il semble bien connaître lui aussi.

Revenons donc à nos moutons. Ou plutôt à nos monstres sanguinaires, car ils n'en avaient toujours pas fini avec leur victime expiatoire. Le soir venu, ils voulurent reprendre le jeu du "je te gave tant que je peux avec des mets délicieux" (Au cas où vous seriez hermétiques à la poésie, je vous signale que ça rime!) qui leur avait tant plus la veille et l'emmenèrent jusqu'à un repaire hispano-tzigane où les plats défilèrent au son de guitares andalouses toujours aussi discrètes et où Calyste osa le seul geste de révolte qu'il eut le courage de tenter ce soir-là. Excédé par ce sadisme outrancier, il réussit à renverser son verre de vin (oui, on le fit boire encore à ce repas-là) sur le pantalon de Lancelot qui n'eut pas le réflexe assez rapide (ben oui, il n'est plus tout jeune) et en fut réduit à se tamponner d'eau claire pour éviter la tache. Mais Calyste souriait faiblement: il avait eu une petite vengeance. On aurait dit un de ces sourires énigmatiques qu'arborent les vierges à l'enfant lorsqu'elles pressent contre leur sein virginal le sauveur de ce monde!

Après le repas, on le fit déambuler dans les ruelles sombres du village, au pied d'un tertre d'où s'élançaient dans la nuit des voix fantomatiques semblant jaillir des ténèbres et comme enfantées par elles et les goules qui s'y terraient sans doute. Il fallut ensuite affronter la deuxième nuit de captivité, et Calyste, avant de sombrer dans ses propres bras (car Morphée n'avait bien sûr pas été convié), se résigna à tracer dans le plâtre de la chambre, en un endroit discret que ses bourreaux ne repéreraient pas trop vite, les premières marques verticales de son calendrier de captivité. Un instant, il repensa à sa maîtresse d'école qui distribuait des bûchettes de couleur aux enfants sages et bien apprenant. On échangeait ensuite les bûchettes contre une image représentant Jeanne Hachette ou le Camp du Drap d'Or et... Oui, d'accord, Christophe, je vois où tu me les mets les bûchettes. Pas la peine de s'énerver, je reprends.

Mais non car, derrière moi, Calyste me réclame avec autant d'insistance que Nelson Monfort les sportifs sortant de compétition. A tout à l'heure pour la fin de ce reportage au pays des succubes.

Début des révélations

Le temps est venu de faire les révélations annoncées précédemment. Nous tenons d'abord à insister sur le fait que, cette histoire étant parfois violente,elle comporte des éléments qui risquent de choquer un lectorat trop jeune ou insuffisamment informé des tristes réalités de la vie. Nous ne saurions trop conseiller aux parents de tenir leurs enfants éloignés de ces pages et aux âmes sensibles de s'abstenir de les lire.

L'histoire que vous allez découvrir est pourtant le compte rendu objectif du voyage de Calyste en terre occitane, en cette triste fin de semaine de juin. Donnons-lui sans tarder la parole et réservons-nous le droit, lorsque les mots lui feront défaut ou lorsque l'émotion ne pourra être contenue, de le relayer pour apporter quelques lumières dans ces ténèbres trop épaisses. A vous donc, Calyste.

A peine sorti de la gare, je me retrouvai cerné par deux individus à la mine patibulaire qui disaient être Lancelot et Tinours. Comment croire que ce que je voyais pouvait être l'image véritable de ce fier chevalier auquel j'avais rêvé et de son fidèle compagnon? Sans me laisser le temps de réfléchir davantage, ils prirent la peine, en faisant claquer sur mes joues trois bises sonores chacun, de donner le change aux autres voyageurs quittant la gare et tout surpris de me voir ainsi apeuré par l'accueil. Puis ils m'entraînèrent malgré moi dans le sombre sous-sol d'un parking glauque dans la noirceur duquel était garé leur véhicule. Je crus alors que ma dernière heure était arrivée et que j'allais rendre ici mon dernier soupir au milieu des bouteilles vides de bière-téquila et des relents d'ammoniaque urinaire.

Mais nos deux lascars avaient échafaudé d'autres plans plus pervers: pourquoi en finir aussi vite? Pourquoi ne pas faire durer ce petit jeu des chats et de la souris? (Note de l'éditeur: vous aurez sans doute compris, sans qu'il soit besoin de le préciser, que la pauvre souris prisonnière des griffes des deux vauriens n'est autre que notre Calyste bien aimé). On me fit donc monter devant, à côté du conducteur, à la place du mort que je serais sans doute bientôt et l'on se mit à quitter la ville par des routes détournées. Quand l'engin freina devant un portail métallique, celui-ci s'ouvrit de lui-même, probablement actionné par des complices déjà dans la place.

Je vous passerai quelques détails (sinon, on y est encore demain, et je ne suis pas sûr de tenir question imagination jusque là). Le repas du soir se profila bientôt. Moi qui avais cru finir dans le ventre de Montpellier, dans ce sous-sol sordide, voilà que je découvrais le supplice qui m'achèverait: le ventre justement, mais le mien. On me força à manger plus que de raison, moi qui suis connu pour mon appétit d'oiseau. On avait même poussé le vice jusqu'à mitonner des plats excellents, dont un gratin de pâtes au saumon que j'aurais sans doute davantage apprécié si je n'avais eu la gorge à ce point nouée et si l'on ne m'avait forcé (ça, c'est celui qui disait être Lancelot) à en prendre deux énormes rations.

Pourtant ce premier repas pantagruélique ne suffit pas à me mener au trépas. On avait pris soin de me faire manger à l'intérieur, de peur que mes cris éventuels ne finissent par alerter quelque voisin. Mais cela non plus ne put être mené à bien, car l'orage qui s'abattit ce premier soir sur la région aurait eu tôt fait de couvrir même mes cris les plus virils. Et puis, dehors, il y avait cette piscine, si profonde, aux eaux si troubles que l'on n'en apercevait qu'à peine le fond, et ils auraient bien été capables de m'y noyer après m'y avoir maintenu fermement la tête sous l'eau jusqu'à épuisement de ma réserve d'oxygène (J'ai beau pratiqué le sport de haut niveau, faut ce qui faut, question oxygène!).

Le vin qu'ils me firent ingurgiter de force m'aida à trouver le sommeil et c'est le cœur un peu plus léger que je me réveillai le lendemain matin: j'avais survécu. Le soleil était là et rendait mes deux geôliers plus souriants. Ils ne pouvaient échapper à une obligation dans les environs ce matin-là: leur absence à l'inauguration de la médiathèque n'aurait pas été comprise (Note de l'éditeur: bien qu'étant de dangereux énergumènes, tous deux passent dans leur entourage pour de charmants garçons pleins de prévenance et de gentillesse!). Me voilà une nouvelle fois emmené manu militari jusqu'à la construction flambant neuf où je ne pus non plus alerter quiconque, ayant sans cesse une arme camouflée dans un parapluie pliant braqué sur mon flanc droit (Note de l'éditeur: Lancelot semble ne pas connaître sa droite de sa gauche, car, comme chacun sait, le cœur, organe vital s'il en est, se trouve à gauche.)

Il me sembla alors que je pourrais fléchir plus facilement le deuxième malandrin: Tinours semblait plus accessible à la pitié. Mais ce n'était qu'une impression. Son cœur était comme l'autre: du marbre froid comme la glace. Comment me sortir de leurs griffes?....


C'est sur cette question insoutenable que nous allons quitter Calyste un instant, histoire de lui laisser le temps de soulager sa vessie (à son âge, c'est plus fréquent) et de se remettre de toutes ces émotions dont l'évocation le secoue encore beaucoup.

L'Attentat.

Entamé avec assez d'enthousiasme, ce livre, comme je l'ai dit, n'a pas pour moi tenu ses promesses jusqu'au bout.

Autant les premières pages consacrées à l'attentat (aux attentats) en lui-même puis à la douleur de cet homme, le narrateur, dont la femme s'est fait exploser au milieu d'un groupe d'enfants, m'a tenu attaché à la lecture, autant la suite, la recherche de la vérité, du pourquoi de ce sacrifice au nom d'une cause sacrée m'a paru parfois, souvent même, trop intellectuelle et donc en inadéquation avec les sentiments du narrateur à ce moment-là. On sent trop l'écrivain derrière le "je". Le message est intéressant et hautement respectable, pour la paix, contre les extrémismes, quel que soit le bord d'où ils partent, israélien ou palestinien, mais la "mise en émotion" me semble manquée. On aurait voulu, j'aurais voulu, des tripes là où souvent la théorie a tendance à affleurer.

Des larmes me ravinent les joues... "Celui qui t'a dit qu'un homme ne doit pas pleurer ignore ce qu'homme veut dire", m'avoua mon père en me surprenant effondré dans la chambre mortuaire du patriarche. "Il n'y a pas de honte à pleurer, mon grand. Les larmes sont ce que nous avons de plus noble." Comme je refusais de lâcher la main de grand-père, il s'était accroupi devant moi et m'avait pris dans ses bras. "Ça ne sert à rien de rester ici. Les morts sont morts et finis, quelque part ils ont purgé leurs peines. Quant aux vivants, ce ne sont que des fantômes en avance sur leur heure..."

SCOOP

BIENTÔT EN EXCLUSIVITÉ SUR POTOMAC: TOUT CE QUE VOUS AVEZ TOUJOURS VOULU SAVOIR SUR LANCELOT, SES DÉSIRS LES PLUS SECRETS, SES RÊVES LES PLUS INTIMES, SES FANTASMES LES PLUS TORRIDES, SES PRATIQUES LES PLUS CACHÉES, SA VIE, SES ŒUVRES...

NE MANQUEZ PAS NOTRE ARTICLE DE CE SOIR. VOUS Y APPRENDREZ TOUT CE QUE VOUS RÊVIEZ DE DÉCOUVRIR SANS OSER ESPÉRER Y PARVENIR UN JOUR. CALYSTE A MENÉ POUR VOUS L'ENQUÊTE L'ESPACE D'UN WEEK-END ET EST REVENU AVEC DES RÉVÉLATIONS FRACASSANTES QU'IL VOUS LIVRERA CE SOIR.

A BIENTÔT, AMIS LECTEURS. SOYEZ AU RENDEZ-VOUS. VOUS NE SEREZ PAS DÉÇUS!

dimanche 7 juin 2009

Avant

(Écrit dans le train, le vendredi 5 juin)

Quand le train est parti tout à l'heure, il y a juste une heure, la première chose que je me suis dite, c'est: " Sois là, sois au bon endroit, au bon moment. Ni dans le passé, ni dans la projection, ni ailleurs." Et je songeais déjà à écrire, belle façon d'échapper à la contrainte à peine édictée.

J'ai vu passer le parc de la clinique. Ma mère était là, tout près. Et puis, j'ai fermé les yeux. j'ai sombré. Un filet de salive qui descendait en direction de mon menton m'a réveillé. J'avais fait plus que m'assoupir. La femme à côté de moi, que l'attribution de ma place a séparée de son mari, lit un roman de Fred Vargas et ferme parfois les yeux, elle aussi. Le train s'est arrêté à la gare TGV de Valence. Je n'en ai pas vu grand chose, elle semble s'encastrer dans une faille creusée dans le sein d'une petite colline.

C'est à ce moment-là, sans doute encore légèrement ensommeillé, que j'ai ressenti un furtif pincement. Qu'est-ce que je fais là? J'ai dit ma destination à Evelyne, ce matin pendant la récréation. Elle n'a pas voulu paraître surprise mais je la connais: je suis certain qu'elle l'était. Bizarrement, elle a dévié (mais pour elle était-ce vraiment dévier?) la conversation sur une amie commune qui fréquente les réseaux de rencontre et y a déjà connu heurs et déboires. Je ne sais que penser de cette transition. Que penser d'ailleurs de ma décision d'entreprendre ce voyage d'un week-end? Je n'ai pas voulu réfléchir trop longtemps et je ne le regrette d'ailleurs pas.

Ce petit moment de flottement n'a pas duré. J'ai vu l'impressionnante tour carrée, ce qui reste du château féodal de Crest, au bord de la Drôme, qui servit de prison sous différents régimes. J'ai vu les éoliennes, de plus en plus nombreuses et qui ne me semblent pas défigurer le paysage où elles sont placées, en tout cas pour le moment.

Je voyage à l'aller en première. Pas par choix. Il n'y avait pas d'autres places. Je n'ai jamais beaucoup aimé les premières: ce n'est pas mon monde. Je vois bien qu'au fil des années tout cela s'est considérablement démocratisé mais tant pis: je reste irrémédiablement attaché à mes convictions. Et puis les dossiers des fauteuils y sont trop hauts pour permettre d'apercevoir ses voisins de compartiment. Un seul avantage: les enfants en bas âge n'y sont pas légion.

Le roman de Yasmina Khadra, L'Attentat, que je lis actuellement m'intéresse moyennement. Après un début prometteur, je m'y ennuie un peu. Mais rares maintenant sont les romans où je ne m'ennuie pas. J'en ai emporté deux autres, un japonais bien sûr, et un De Luca. Il est rare que je sois déçu dans l'une ou l'autre de ces directions.

Je pense à mon arrivée, tout à l'heure, en gare de Monpellier. Paradoxalement, je vais d'abord rencontrer Tinours, que je ne connais pas du tout, lui. Lancelot, quand je descendrai du train, sera encore au lycée. Je ne sais toujours pas ce que nous réserve la météo. La radio annonçait orages et pluies, mais ils tardent à se déclarer. En soirée, peut-être!
La vision de ces paysages provençaux que j'ai tant connus ne me gêne pas. c'est la mort d'Amédé qu'inconsciemment je n'ai pas encore acceptée. Revoir les pays où nous avons pérégriné ne m'est pas douloureux, au contraire. le ciel s'est beaucoup couvert depuis ce matin. Dans une demi-heure je serai arrivé. Je retourne à ma lecture.

Se souvenir qu'à Nîmes il y a un lycée Ernest Hémingway.

De quel nom va-t-il m'appeler? Calyste ou bien...

jeudi 4 juin 2009

Non et oui

Et voilà: tout à l'heure, j'étais K.O, H.S, tout ce qui peut donner l'idée d'une grande fatigue. Je me suis même profondément endormi dans la chambre de ma mère. Il faut dire que plusieurs nuits un peu courtes et une journée de six heures de cours, complétée par une réunion importante à midi et ma visite à la clinique ce soir, ça peut suffire à expliquer quelques "faiblesses".

Je m'étais promis de me coucher tôt. Et puis, je fais le tour des blogs, j'écris un peu, je furète à droite à gauche, je poste quelques photos sur Flickr et me voilà maintenant en pleine forme. Décidément, l'informatique est une drogue excitante. Je ne me suis jamais endormi devant cet écran, par exemple, alors que devant la télé, à l'époque où je la regardais, je ne vous raconte même pas...

Je suis donc complètement dépendant d'Internet? Sans doute. Je n'imagine pas rester longtemps sans lire les billets des uns ou des autres, encore moins passer trop de temps sans écrire. Pourtant, demain je n'écrirai rien ici. Je suis à la fois tout excité (dans le bon sens du terme) et un peu anxieux (même remarque) de ce voyage. Rencontrer de nouveaux êtres est toujours un peu délicat. Vont-ils me plaire? Vais-je leur plaire? Les premiers contacts tendent à le confirmer. Mais si tout se passait mal, si l'ambiance ne décollait pas, si je les décevais... Je ne suis pourtant pas très inquiet. Le plus gros point d'interrogation reste la météo. Pour une fois que je quitte Lyon, je mérite bien un peu de soleil, non? Eh, là-haut! Pas d'accord avec moi?

Oui et non

Il y a des jours entièrement gris, où les canaux se pendent, d'autres gorgés de soleil à fendre les grenades. Certains, plus rares, alternent ombre et lumière, comme un ciel nuageux reflétant ses états d'âme sur le sable du chemin.

Aujourd'hui fait partie de la dernière catégorie, offrant le plus et le moins, la joie et la tristesse, à tour de rôle, comme des jumelles antithétiques.

D'abord au téléphone. Deux messages reçus, l'un sur mon portable, l'autre sur mon fixe, et qui ne m'étaient destinés ni l'un ni l'autre. Sur le fixe, une femme qui remerciait un ami d'avoir pris de ses nouvelles "l'autre jour" et à qui elle expliquait qu'on allait lui faire des prélèvements dans la gorge pour savoir si une chimio s'imposait. Sur le portable, ce charmant SMS qui n'atteindra jamais sa cible: "Sa va ma cherie tu passe ce soir j ai une surprise pour toi." (Peut-être s'est-il inscrit à des cours d'orthographe!)

Ensuite au travail. Nicolas ne sera pas avec nous l'an prochain. Le directeur avait 36 demandes pour ce poste vacant. Il ne pouvait pas trouver d'arguments valables pour les éliminer toutes. Nicolas n'était pas prioritaire, voilà le hic. J'avoue que ça me touche beaucoup, même si je mets à part la perte du plaisir des yeux. J'espère le conserver dans mes relations, mais sous quel prétexte? A l'inverse, ce soir, une élève de sixième me rejoint dans le couloir à la fin du cours et me tend un paquet accompagné d'un petit mot de ses parents et d'elle-même. Je ne peux pas reproduire le message ici car je passerais pour un prétentieux qui aime se mettre en avant. Je dirai simplement qu'il contient quelques phrases d'une gentillesse extrême et que l'on est content de lire quelquefois dans sa carrière. Le paquet: du chocolat du meilleur chocolatier de Sainte-Foy-lès-Lyon. J'ai déjà entamé: délicieux.

Enfin, kicou qui assume l'ombre et la lumière à elle seule. On la dirigerait, "momentanément" vers un service de soins palliatifs de Lyon ou des environs. Elle en est ravie et m'assure que ce n'est pas signe de fin de vie, qu'il y a les services de soins palliatifs extrêmes, comme celui où j'avais essayé en vain de faire accepter Pierre, et ceux comme celui qu'on lui propose qui accueillent pour un temps et permettent diverses activités, artistiques par exemple. J'avoue être dubitatif. Si quelqu'un parmi ceux qui vont lire ce billet a des lumières là-dessus, qu'il n'hésite pas à m'en faire part en commentaire.

Et le ciel, lui aussi, suit l'alternance. Aujourd'hui grand soleil, demain orage et pluie. Mais demain, je prends le train.

mercredi 3 juin 2009

Juste un mot

Rien ce soir sur les rives du Potomac? Mais que se passe-t-il? Que fait Calystee?

Il bavarde, il bavarde avec un autre bavard, et ce n'est pas désagréable, loin de là. Alors forcément, le temps de l'écriture est un peu limité, et le sera encore davantage quand les deux bavards vont se rencontrer ce week-end. Probablement trois jours sans billets! Vais-je tenir le coup?

Mais pour les plus curieux, vous avez un petit moment de ma journée raconté chez mon ami Tef. Oui, oui, son blog a repris une activité plus régulière. Pour moi, ce soir, ce sera tout. Il faut tout de même que je dorme, de temps en temps.
PS. Ne rêvez pas: l'activité plus fatigante dont parle Tef pour moi en fin d'après-midi était de la course à pied. Promis, juré!

mardi 2 juin 2009

C'est quoi, le bonheur?

C'est quoi, le bonheur? Une clope, un café bien tassé, entre ombre et soleil, à la pause? Une concomitance des corps, assis sur un banc, sans qu'il soit besoin de parler? Écouter le chant des oiseaux tout près, au dessus de la tête, et les rumeurs de la ville au loin avec parfois le bruit d'un train entrant en gare? Le meuglement des sirènes qui martèle le temps un mercredi par mois? Le souvenir de tous ces riens, qui firent la journée, le soir, en s'apaisant?

Instants, petits moments, rayons inattendus, sourires et regards, parfois figés sur le papier? Éraillement d'une voix inconnue qui fait se retourner, nuque à renverser de tendresse, chaleur sur la peau, comme une louange? Trois notes d'une musique dont on inventera la suite, parfum d'une inconnue qui vous replonge en enfance, à l'école, quand la maîtresse sentait bon? Le souvenir de tous ces riens, qui firent la journée, le soir, en s'apaisant?

La fierté d'un élève qui a bien répondu, le plaisir d'un repas que l'on va partager, les yeux qui interrogent bien au-delà des mots? La chair qui s'abandonne et celle qui offre tout, les matins de fraîcheur, seul sur son oreiller, les soirs d'intensité à quémander la main? La goutte qui prévient que l'ondée sera froide, les photos réussies et celles que l'on aime? Le souvenir de tous ces riens, qui firent la journée, le soir, en s'apaisant?

Retrouver une rime après trente ans passés, imaginer demain et l'attendre confiant, dire deux mots de prière devant une lavande? Voir sourire la malade qui oublie où elle est, s'entendre travailler et trouver qu'on est bon, enfourcher un vélo, goûter le frais du vent? Ne plus trouver quoi dire et se sentir compris, croire en tout amour humain, y croire et le vouloir? Le souvenir de tous ces riens, qui firent la journée, le soir, en s'apaisant?

C'est quoi, le bonheur? Peut-être écrire sa question et savoir que l'on a déjà sa réponse. Pour un moment.

lundi 1 juin 2009

Deux pensées

Avant d'aller dormir, deux pensées de l'abbé Pierre, tirées de l'éphéméride posé sur la table de la chambre de ma mère, à la clinique.

La première, sublime de concision: "La fraternité n'est pas autre chose qu'un éblouissement partagé."

Et la seconde, qui semble bien d'actualité: " Qu'on ne me dise pas avec fatalité que la domination des plus riches sur les plus faibles se justifie par la loi naturelle. Si l'homme est un animal doué de raison, c'est qu'il peut maîtriser ses instincts."

Mes hommes.- 2: de la grande muette.

Lui, je ne l'ai jamais oublié. Rencontré au même endroit, exactement que le précédant et que J. Un endroit magique? Pourtant rien de particulier dans ce parterre de fleurs et cette pelouse parfois jaunissante qui encerclent la statue de De Boissieu, le célèbre botaniste, au parc de la Tête d'Or.

Ce qui m'avait frappé d'abord, c'est son aspect très dur, silhouette sans un pouce de graisse, cheveu court, en brosse, visage fin et "serré" et aucun sourire aux lèvres qu'il tenait hermétiquement closes comme s'il redoutait de mordre. Il n'était pas très grand mais avait la beauté d'un modèle plus élancé, un peu comme un bonsaï reproduit dans ses proportions plus réduites l'arbre de dimensions classiques. Il n'était pas petit non plus. Tout juste parfait dans les proportions.

Comment aborder une telle bête, si belle et si fière? C'est lui qui fit le premier pas. Sans doute ma jeunesse d'alors (je devais avoir tout au plus vingt-cinq ans) réussit-elle à le convaincre. A moins que ce ne soit la feinte indifférence que je jouais à quelques pas de lui alors que je bouillais à l'intérieur. Un premier pas un peu brusque et froid, comme un reproche, mais un premier pas tout de même. C'est à ce moment-là que j'ai remarqué ces yeux, en harmonie parfaite avec le personnage: des yeux d'un bleu de glace, comme on en voit sur les sommets quand le soleil brille sur les névés. Un bleu à vous pétrifier, qui avait dû en intimider plus d'un, en refroidir bon nombre. A moi, il ne fit rien de cela. Je le trouvais beau, simplement, et il l'était.

Il m'emmena chez lui, tout près d'un centre de recrutement des armées, et ce chemin jusqu'à sa chambre, je le fis maintes fois ensuite, seul, sans besoin de guide, sans me tromper. Il ne se dérida pas pendant le trajet. D'ailleurs, n'avions-nous pas chacun notre voiture. Quoi qu'il en soit, l'individu sur le palier était le même que celui du parc, sans un sourire de plus, sans un signe d'une quelconque attirance. Mais lorsque nous nous retrouvâmes près du lit, la froideur se transforma en ouragan, d'une virilité incroyable, presque violente et pourtant pas.

J'ai tout de suite adhéré à sa façon de faire. Elle me convenait et retrouvait la mienne propre, celle de ma vraie nature. Nous étions à la fois semblables et complémentaires, on aurait dit que nos deux corps se connaissaient depuis longtemps et qu'ils savaient comment se faire plaisir, comme se faire geindre ou sourire. Car il sourit alors, et quel sourire! Il me remerciait: il m'avait testé et j'avais réussi l'épreuve. Ce qu'il voulait, c'était un homme dans son lit, pas quelqu'un prêt à n'importe quel compromis pour se "faire" un si beau spécimen. Visiblement, j'avais réussi l'examen de passage.

J'eus donc plusieurs fois pour moi seul ce grand aryen dans son lit. Caresser ce corps parfait, ces muscles allongés et gracieux, ce ventre plat, ce sexe vivant, embrasser ce marbre qui pour moi prenait vie, sentir son odeur légère, me dire que j'avais là sans doute un des plus beaux mâles de la place de Lyon, et recevoir de lui l'identique de mes caresses et de mes recherches hasardeuses ou conquérantes, ce bonheur-là peut-être en ai-je plus conscience aujourd'hui qu'au moment où je le vivais, tant on finit dans la vraie vie par trouver normal ce qui nous a semblé au départ extraordinaire.

A aucun moment, notre désir réciproque ne faiblit. Nous arrêtions parfois nos joutes érotiques pour parler un moment. J'en sus ainsi un peu sur lui, des anecdotes, par exemple le fait qu'il ait travaillé un temps pour Mireille, celle du Petit Conservatoire, et qu'il ne l'ait pas du tout appréciée. Mais il resta toujours assez vague sur ce qu'il était réellement. Cela me convenait d'ailleurs. C'est un trait caractéristique du monde homosexuel, un que j'apprécie, que de ne pas avoir besoin de certificat de naissance ni de curriculum vitae pour être bien, un moment ou plus longtemps, avec quelqu'un.

Un jour, il me dit qu'il allait déménager. Je ne lui ai pas demandé sa nouvelle adresse, dans une autre ville. Il n'a pas proposé de me la donner. Cette histoire avait été belle ainsi, comme une parenthèse qu'il fallait ne pas oublier de refermer si l'on ne voulait pas en perdre au vent tout le fragile contenu. Il disparut donc de ma vie. Je sus plus tard de façon presque certaine qu'il était militaire, gradé, et que son "déménagement" devait en fait être dû à une autre affectation.

Je ne sais plus son prénom, mais mettez-moi en face de lui dans la rue, et je vous dirai: c'est lui. Il m'appelait "son petit soldat". Moi seul (et lui), je sais pourquoi.